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La prière des heures
La Liturgie des Heures a son origine dans l'idéal spirituel qui nous est proposé par le Nouveau Testament : la prière incessante. Cet idéal cherche à se réaliser par le rythme des heures de prière destinées à jalonner le jour, rythme que les courants spirituels des premiers siècles ont développé à partir de l'usage juif mais surtout selon l'exemple de Jésus lui-même et de la communauté apostolique.
La prière juive au temps du Christ.
Bien que le culte chrétien ait entraîné une rupture, plus ou moins rapide, avec la liturgie du Temple et avec les observances de l'ancienne Loi, on constate une profonde continuité dans les rythmes de la prière, du fait sans doute des communautés judéo-chrétiennes, mais aussi et plus encore parce que la Bible n'a cesse d'être lue et méditée. Enfin, c'est d'abord dans le cadre de la prière juive que le Christ et les Apôtres ont prié.
Il faut éviter de transposer anachroniquement les prescriptions et les textes du judaïsme postérieur sur l'époque du Christ ; les usages de celle-ci peuvent cependant être vérifiés avec assez de certitude, d'autant qu'ils remontent à une période beaucoup plus ancienne.
La prière juive obéissait à un double rythme, d'origine et de nature différente, mais qui en fait finissait par se confondre. L'un se fonde sur la prescription du Deutéronome : le soir et le matin, "quand tu te coucheras et quand tu te lèveras", le fidèle doit réciter le Shemah : "Ecoute Israél, le Seigneur est notre Dieu, lui seul : tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir" (Dt 6, 4 ; cf. 6,7 ; 11, 19). Les commentaires rabbiniques et de nombreux documents vérifient l'exigence de ces temps de prière ; liés d'abord au rythme de la vie des hommes - le coucher et le lever - ils ont été ensuite rapportés plus volontiers au rythme de la nature : la tombée de la nuit et l'aurore ; peut-être est-ce dans les sectes que cette évolution s'est produite avant d'être entérinée par les docteurs de la Mishna.
Mais à côté de ce rythme de deux temps de prière, on en constate un autre, comportant trois temps au long du jour. On le trouve attesté déjà dans le livre de Daniel, donc au III° siècle avant Jésus Christ : lorsqu'il apprit la décision du roi d'interdire toute prière qui ne lui serait pas exclusivement adressée, Daniel "entra dans sa maison ; celle-ci avait des fenêtres qui s'ouvraient à l'étage supérieur en direction de Jérusalem ; trois fois par jour, il se mettait donc à genoux, et il priait et louait en présence de son Dieu, comme il le faisait auparavant" (Dn 6, 11, cf. 14) ; on retrouve également cet usage dans le livre de Judith (9, 1 ; 12, 5-6 ; 13, 3). Peut-être pourrait-on en voir une allusion dans le psaume 54, 17-18 : "Pour moi, je crie vers Dieu, le Seigneur me sauvera ; le soir et le matin et à midi, je me plains, je suis inquiet ; et Dieu a entendu ma voix...". Le traité Berakhot de la Mischna (milieu du II° siècle après J. C.) fera dire à ces trois moments la Tefillah qui, dans sa forme ultérieure, devint la "prière des Dix-Huit Bénédictions". Il est probable que cette observance a son origine dans des milieux pharisiens ; elle est liée à la liturgie quotidienne du Temple, bien que celle-ci ne comporte que deux temps : sacrifice du soir et sacrifice du matin (Ex 29, 30-42 ; 1Ch 16, 40 et 23, 30 ; 2Ch 13, 11 ; 2R 16, 15 ; Esdr 9, 4 ; Dn 9, 21). Le sacrifice du soir fut progressivement anticipé jusqu'à la neuvième heure (vers 3 heures de l'après-midi). L'oblation des sacrifices s'accompagnait du chant des psaumes, exécutés par les lévites, certains psaumes étant plus particulièrement affectés à certains jours. A cette liturgie, un nombre plus ou moins grand de fidèles de Jérusalem venait prendre part, surtout au sacrifice de l'après-midi : la description, un peu idéale, de Sir 50, 1-21 est contrôlée par Lc 1, 10-21 ("toute l'assemblée du peuple se tenait dehors en prière" pendant que Zacharie offrait le sacrifice de l'encens) et Ac 3, 1 ("Pierre et Jean montaient au Temple pour la prière de la neuvième heure").
Hors de Jérusalem, aux mêmes heures, mais cependant pas de façon quotidienne, les Juifs pieux s'unissaient au culte du Temple en s'assemblant à la Synagogue. Enfin, tant à Jérusalem qu'en dehors de la ville, à l'heure du sacrifice du soir, ceux qui n'étaient pas présents à la liturgie, priaient en privé, comme le fera le centurion Corneille (Ac 10, 3-30), et cela même dans les rues ou sur les places, ce qui était facilité, à Jérusalem, par la sonnerie des trompettes du Temple (Si 50, 16). Les "hypocrites" que stigmatise Jésus, "qui aiment faire leurs prières debout dans les synagogues et les carrefours afin d'être vus des hommes" (Mt 6, 5), sont blâmables parce qu'ils affectent d'être dans les carrefours au moment de la prière, et non parce qu'ils prient sur la voie publique.
La troisième prière correspond à la fermeture des portes du Temple dans la soirée ; elle a donc une assise moins solide que les deux autres ; cependant l'usage des trois temps de prière s'est imposé dès l'époque du Nouveau Testament, parce que la Tefillah s'ajoutait, pour les Juifs pieux, à la récitation du Shemah le matin et le soir ; l'après-midi, à l'heure du sacrifice ils récitaient la seule Tefillah.
D'autres temps de prière intervenaient à certains jours de jeûne ou de fête, au moins dans les milieux dévots ; des coutumes particulières étaient pratiquées par les communautés et les sectes. Surtout, faut-il le noter, l'idéal d'une prière plus fréquente, d'une méditation quasi constante de la Loi est remis sans cesse devant l'esprit des Juifs fervents par les psaumes, en particulier par le psaume 118 ; or l'influence des psaumes sur la spiritualité du peuple d’Israël dépasse de beaucoup le cadre de la prière rituelle : ils faisaient l'objet de l'enseignement religieux et de la méditation personnelle.
C'est du sein de ce peuple priant qu'est sorti Jésus Christ.
L'exemple de la prière de Jésus.
Bien des détails de l’Evangile nous montrent que Jésus était fidèle aux usages religieux de ses compatriotes : il participait "selon son habitude" aux réunions de la Synagogue (Lc 4, 16 ; cf. Mc 1,21) ; au scribe qui l'interroge sur le premier de tous les commandements, il répond en citant le Shemah, tel qu'il devait le réciter lui-même : " Écoute Israél… " (Mc 12, 29-30). Il fait allusion à la prière de la neuvième heure, sans doute dans la parabole du pharisien et du publicain (Lc 18, 9-14), et plus clairement encore quand il blâme les hypocrites qui prient ostensiblement aux carrefours (Mt 6, 5). Il prononçait de même les bénédictions traditionnelles adressées à Dieu au moment des repas, comme cela nous est rapporté expressément pour la multiplication des pains (Mt 14, 19 ; 15, 36), la dernière Cène (Mt 26, 26), le repas d'Emmaûs (Lc 24, 30). Il récitait également les " hymnes " avec ses disciples (Mt 26, 30).
Mais, la vie de
prière de Jésus déborde largement la coutume générale. Les évangiles signalent souvent des moments où Jésus se dérobe à la foule pour prier : Luc y insiste de façon constante ; il est d'ailleurs frappant de constater combien Luc est l'évangéliste de la prière, celle du Christ, celle de Marie et, plus tard, celle de la communauté chrétienne.Ainsi à Capharnaüm où Jésus avait guéri la belle-mère de Simon - Pierre et où il avait vu la ville entière rassemblée à la porte de la maison, "le lendemain matin, encore en pleine nuit, il se leva, sortit et se retira dans un lieu solitaire ; et là, il priait" ; Simon, son hôte et ses compagnons se mirent à sa recherche (Mc 1, 35-36). Après la guérison d'un lépreux, on parle de lui de plus en plus et de grandes foules s'assemblent pour l'entendre et se faire guérir de leurs maladies "lui se retirait dans les lieux déserts et il priait" (Lc 5, 16). De même, après la multiplication des pains, lorsqu'il eut renvoyé la foule, "il s'en alla sur la montagne pour prier" (Mc 6, 46), et Matthieu (14, 23) précise qu'il était seul et qu'" à la quatrième veille de la nuit", il rejoignit les Apôtres en marchant sur les eaux. Avant la désignation des Douze et comme pour préparer ce choix décisif, "il sortit prier sur la montagne, et il passait la nuit dans la prière de Dieu ; et quand vint le jour, il appela ses disciples et en choisit douze... " C'est Luc (6, 12) qui mentionne cette veillée de prière ; Mt 9, 37-38 fait précéder le choix des Douze non de la prière de Jésus lui-même, mais de l'invitation adressée aux disciples : " Priez le Maître de la moisson... ". Luc apporte encore une précision semblable au récit de la Transfiguration : Jésus "prit Pierre, Jacques et Jean et monta sur la montagne pour prier ; et il arriva, pendant qu'il priait, que l'aspect de son visage changea... " (Lc 9, 28-29). La solitude du Maître n'est donc pas toujours rigoureuse ; puisque certains privilégiés sont parfois témoins de sa prière ; c'est le cas encore, toujours selon Luc, lors de la confession de Césarée : "il arriva, tandis qu'il était en prière à l'écart, les disciples étaient avec lui et il les interrogea... " (Lc 9, 18), ou lors de l'enseignement du Pater : "Et il arriva, comme il était quelque part en prière ; lorsqu'il cessa, un des disciples lui dit : Maître, apprends-nous à prier comme Jean l'a appris à ses disciples " (Lc 11, 2).
C'est ainsi que l'activité quotidienne de Jésus nous apparaît, au témoignage des évangélistes, intimement liée avec sa prière, si tant est qu'elle n'en découlait pas en quelque sorte... Jusqu'à la fin de sa vie, alors que la Passion était déjà proche (Jn 12, 27 et ss.), à la dernière Cène (Jn 17, 1-26), dans l'agonie (Mt 26, 36-44) et sur la Croix (Lc 23, 34-46 ; Mt 27, 46 ; Mc 15, 34), le divin Maître a montré que la prière était l'âme de son ministère messianique et de l'aboutissement pascal de celui-ci".
C'est son propre exemple qu'il propose, lorsqu'il demande aux disciple de veiller et prier : ce n'est pas là seulement invitation pressante adressée aux témoins de son agonie pour qu'ils partagent sa veille douloureuse et qu'ils se prémunissent contre la tentation (Mc 14, 38 ; Mt 26, 41 ; Lc 22, 40-46) ; c'est aussi et plus encore un signe eschatologique, l'attente du Maître, de l’Epoux au milieu de la nuit : "Restez éveillés et priez en tout temps pour être jugés dignes d'échapper à tous ces événements à venir et de vous tenir debout devant le Fils de l'homme" (Lc 21, 36 ; cf. Mc 13, 33). En tout temps : en effet la prière que demande Jésus à ses fidèles doit être constante et persévérante (Lc 18, 1). Cet idéal sera celui de la première communauté chrétienne et sera rappelé fréquemment par saint Paul.
L'idéal de la communauté apostolique : Priez sans cesse.
Après l'Ascension du Sauveur, et jusqu'à ce que la communauté des disciples soit dispersée par la persécution, ceux-ci continuent de fréquenter assidûment le Temple : Luc, qui avait commencé le récit de l'évangile par l'annonce à Zacharie au Temple (Lc 1, 9-22), le termine en montrant les Apôtres "tout le temps dans le Temple, bénissant Dieu " (Lc 24, 53) ; dans le premier des sommaires du livre des Actes (2, 46) ce sont tous les nouveaux croyants qui, selon Luc, "unanimes, se rendaient chaque jour assidûment au Temple" : sous ses portiques, les Apôtres enseignent et annoncent la bonne nouvelle que Jésus est Christ (Ac 5,42 ; 21,27) ; mais tous y viennent surtout pour la prière de la neuvième heure : c'est à cette occasion que Pierre et Jean guérissent au nom de Jésus l'infirme mendiant à la Belle Porte (Ac 3, 1-2). Bien que cela ne soit pas spécifié, il faut penser que ce n'est pas seulement à celle de la neuvième heure, mais aux trois temps de la prière juive que les Apôtres et leurs convertis demeurent fidèles ; la Didachè, - écrit dont la datation n'est pas facile, qui cependant pourrait être très proche des premières générations, - prescrit formellement la prière trois fois par jour, mais y remplace les formules juives par la récitation du Pater ; or ce témoignage semble confirmé indirectement par le fait que les Synoptiques ne citent que très approximativement et de façon divergente le Shema (Mc 12, 30 ; 12, 33 ; Mt 22,37 ; Lc 10, 27), ce qui prouverait que, déjà au moment où ils écrivent, il n'est plus pour eux un texte liturgique mémorisé.
S'ils gardent les temps de prière des Juifs, les chrétiens y mettent donc l'esprit nouveau apporté par Jésus. Mais ils ne se contentent pas de ces usages liturgiques établis : Pierre, à Joppé, monte sur la terrasse de la maison pour prier à la sixième heure environ (Ac 10, 9), qui n'était pas une des heures habituelles des Juifs; la vision qu'alors Pierre reçut, décisive pour l'accueil des Gentils dans l'Eglise, rendra mémorable ce moment de la journée. Le livre des Actes nous signale à plusieurs reprises des prières nocturnes : à Jérusalem, la communauté est en prière durant la nuit pour Pierre prisonnier (Ac 12, 5-12) ; à Troas, la liturgie habituelle du jour qui suit le sabbat a lieu à la veillée : elle se prolonge au-delà de minuit, peut-être, il est vrai, à cause des adieux de Paul (Ac 20,7-11) ; à Philippes, Paul et Silas jetés au cachot, "aux environs de minuit, en prière, chantent les louanges de Dieu et les autres prisonniers les écoutent" (Ac 16, 25). S'agit-il de vigiles occasionnelles, ou n'est-ce pas plutôt peut-être la fidélité à l'exemple et aux consignes de Jésus ?
Ces indications fragmentaires ne suffisent pourtant pas à décrire la nouveauté de la prière chrétienne. Celle-ci en effet doit répondre notamment à deux exigences : elle doit être unanime et assidue, persévérante.
Unanime, mot qui revient souvent à propos de la prière sous la plume de Luc (Ac 1, 14 ; 2, 46 ; 4, 24) et qu'on trouve aussi sous celle de Paul (Rm 15, 6) : cette unanimité existe même quand les disciples ne sont pas rassemblés, car "la multitude des croyants n'avait qu'un cœur et qu'une âme" (Ac 4, 32).
Assidue, persévérante, tel est l'autre caractère de la prière de la communauté des temps apostoliques. Le petit groupe que constituent après l'Ascension, avec Marie, les Apôtres et quelques frères se retrouve "à la chambre haute" : "tous unanimes, étaient persévérants dans la prière" (Ac 1, 14). Même persévérance ou assiduité lorsque, après la Pentecôte, la communauté s'est élargie : "ils étaient assidus à l'enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières" (Ac 2, 42). Certes, le livre des Actes nous présente l'Eglise de façon idéalisée, mais l'historien de la liturgie doit être attentif à l'importance que cet idéal exercera sur les générations chrétiennes ultérieures, soucieuses de vita apostolica, c'est-à-dire de l'imitation de la communauté décrite dans les Actes. D'ailleurs saint Paul, de son côté, multiplie les exhortations à persévérer dans la prière (Rm 12, 12 ; Col 4, 2 ; Ep 6, 18), rejoignant ainsi l'enseignement de Jésus ; ce n'est pas seulement fidélité à des temps fixes de prière : "priez sans cesse (1Th 5, 17), " en toute occasion, (Ep 6, 18) " ; il semble même faire allusion à des veillées : " Que l'Esprit suscite votre prière sous toutes ses formes, vos requêtes en toutes circonstances ; employez vos veilles à une infatigable intercession pour tous les saints, pour moi aussi" (Ep 6, 18 ; cf. Col 4, 2). Lui-même, d'ailleurs, déclare qu'il prie nuit et jour (1Th 3, 10 ; 2Th 1, 11). Quel que soit le sens exact que Paul entend donner à ces formules, il trace un programme spirituel dont les âmes chrétiennes chercheront toujours à se rapprocher : les heures de prière seront considérées comme le temps fort et le rappel de la prière continue.
Les heures de la prière chrétienne et leur symbolisme dans l'Eglise du III° siècle.
L'Eglise de la première moitié du III° siècle a été marquée par une intense ferveur spirituelle, dont témoignent les conseils sur la prière que nous ont conservés les écrits de cinq écrivains chrétiens La VII° Tapisserie ou Stromate de l'Alexandrin Clément (+ 211/215), le De oratione et le De ieiunio de l'Africain Tertullien (+ après 220), la Tradition apostolique d'Hippolyte de Rome, le traité De la prière, écrit en 233/234 par Origène d'Alexandrie, enfin le De oratione dominica que l'évêque de Carthage saint Cyprien a rédigé, en 250 probablement, en pleine persécution, dans le loisir forcé de sa clandestinité.
Tous ces maîtres insistent sur le précepte du Seigneur et de Paul qu'il faut prier de façon ininterrompue : "Le gnostique prie tout au long de sa vie", dit Clément dans son style hermétique ; "sur les moments de la prière, écrit Tertullien, il n'y a absolument aucun précepte, sinon qu'il faut prier en tout temps et en tout lieu", tandis qu'Hippolyte assure : " Vous ne pouvez ni être tentés ni vous perdre, alors que vous vous souvenez toujours du Christ ". Encore plus net est Origène :
Les puissances hostiles instillent un esprit mauvais dans les âmes de ceux qui négligent la prière et qui n'observent pas ce que demande Paul â la suite des recommandations du Christ : priez sans cesse.
Mais pour réaliser cette prière incessante tous sont d'accord que des temps précis de prière doivent être fixés. Origène continue ainsi :
Il n'y a qu'une façon de comprendre ce précepte comme possible : Si nous disons que toute la vie du saint est une grande prière continue et que, de cette prière, une partie est la prière au sens strict du terme, ce qui doit se faire au moins trois fois par jour, comme il apparaît par Daniel qui priait trois fois par jour malgré le danger qui le menaçait. Et Pierre, montant sur la terrasse à la sixième heure pour prier lorsqu'il vit descendre du ciel la nappe tenue par quatre bouts : c'est la deuxième des trois prières dont parle David (Ps 54, 17-18), la première étant : "Au matin tu écoutes ma voix, au matin je me prépare pour toi et je reste en éveil" (Ps 5, 4) la dernière étant montrée par ces mots : " Mes mains levées, comme l'offrande du soir" (Ps 140, 2). Mais le temps de la nuit lui-même, nous ne le passons pas sans prière, puisque David dit (Ps 118, 62) : "Au milieu de la nuit, je me lève et je te rends grâce pour tes justes décisions", et Paul, dans les Actes, à Philippes, priait au milieu de la nuit avec Silas et louait Dieu, au point que ceux qui étaient en prison l'entendaient.
Origène croit donc suivre de cette façon le rythme des heures qu'il lit dans l'Ancien et le Nouveau Testament. Il est du moins fidèle, peut-être sans le savoir, à l'usage de la prière juive, trois fois par jour, mais il y ajoute l'invitation typiquement chrétienne à une prière nocturne.
Or, en fait, depuis plusieurs décennies déjà, tant à Alexandrie qu'à Carthage et peut-être à Rome, l'usage existait de prier à la troisième, la sixième et la neuvième heure - 9 h, 12 h, 15 h environ de nos horloges ; - mais tel quel il ne peut se rattacher à l'horaire juif. Pour Clément, cette division ternaire de la journée, marquée par la prière, symbolise "les trois degrés des demeures célestes". C'est Tertullien qui a sans doute exprimé de façon décisive le choix de ces heures : "ce sont les plus remarquées dans la vie des hommes, parce qu'elles divisent le jour, rythment les affaires et sonnent aux horloges publiques (publice resonant)" ; mais ce ne sont pas seulement " les heures de la vie sociale, distinguant les parties du jour", ce sont "les plus solennelles dans les Ecritures", puisque c'est à la troisième heure que pour la première fois l'Esprit saint a été répandu sur les Apôtres assemblés, que la sixième est celle de la vision de Joppé, la neuvième, celle de la guérison du paralytique par Pierre. Bien que ces exemples n’entraînent pas d'obligation, "il est bon cependant, dit-il, d'établir une sorte de programme qui vienne rappeler de façon pressante l'avertissement à la prière et qui soit comme une loi qui arrache un moment aux affaires pour remplir ce devoir".
Néanmoins pour Tertullien et Cyprien, à côté de ces trois heures de prière, il y en a deux autres, dont l'origine est différente et qui sont, non plus de conseil, mais d'obligation : "exceptis utique legitimis orationibus, quae sine ulla admonitione debentur ingressu lucis et noctis", comme dit Tertullien, qui ne croit pas nécessaire de les justifier davantage. Hippolyte, lui aussi, inscrit dans l'horaire de la journée de prière deux temps qui n'ont pas besoin de justification, mais au lieu de les lier à l'aurore et au crépuscule, il les prescrit "quand les fidèles se lèvent le matin de leur sommeil, avant d'entreprendre quelque travail" et "avant que ton corps se repose au lit ".
Enfin Hippolyte introduit encore deux temps de prière : "Vers minuit, lève-toi, lave-toi les mains et prie", "Et au chant du coq, te levant, (prie) de même". Il dépasse donc et précise l'idéal de prière nocturne que propose Origène ; quant à la prière au chant du coq, si c'est la première fois que nous la trouvons mentionnée, elle sera cependant pratiquée plus tard par de nombreuses familles monastiques.
Or aucun des auteurs que nous citons n'a en vue des chrétiens retirés du monde, ascètes, vierges ou veuves : ils visent des fidèles engagés dans les affaires et qui doivent s'en arracher pour prier un moment, selon la formule expressive de Tertullien, des gens mariés dont parfois le conjoint ne partage pas la foi : "Si ta femme est présente, dit Hippolyte à propos de la prière de minuit, priez ensemble ; mais si elle n'est pas encore fidèle, retire-toi dans une autre chambre, prie et reviens à ton lit".
De ces divers temps de prière, ceux qui ne sont pas donnés comme une obligation, mais comme une louable pratique destinée à réaliser la prière incessante, reçoivent de la part des auteurs spirituels une signification qui les rattache à l'Ancien et au Nouveau Testament comme pour les consacrer. L'exemple de Daniel priant trois fois le jour est invoqué non seulement par Origène, mais par Tertullien et Cyprien ; or Origène propose en fait quatre temps de prière ; Tertullien et Cyprien en décrivent cinq, et d'ailleurs ils réfèrent aussi le chiffre trois à la Trinité : "ne minus ter die saltem adoremus, debitores trium : Patris et Filii et Spiritus sancti". C'est que Tertullien et Cyprien n'entendent le chiffre trois que du groupe des prières de la troisième, la sixième et la neuvième heure, et nous l'avons vu, Tertullien les rattache au souvenir des événements de la communauté apostolique : la venue de l'Esprit saint à la troisième heure (Ac 2, 15) ; la révélation à Pierre de la vocation des Gentils lorsqu'il priait à la sixième heure (Ac 10, 9), la guérison du paralytique de la Belle Porte par Pierre et Jean qui montaient au Temple à la neuvième heure (Ac 3, 1-2) ; saint Cyprien ne fait, sur ce point, que reproduire ce qu'a dit Tertullien.
Pourtant, à cette horloge des Actes des Apôtres tend à se superposer celle de la Passion du Sauveur. À propos de la neuvième heure, Tertullien dit ailleurs : "c'est jusqu'à cette heure-là qu'a duré le deuil de la mort du Christ, deuil dans lequel a été plongé le monde couvert de ténèbres depuis la sixième heure ; nous revenons ensuite à la joie lorsque le monde a retrouvé la lumiere", ce qui explique que les jeùnes cessent à la neuvième heure. Saint Cyprien évoque la crucifixion de Jésus à la sixième heure, sa mort à la neuvième. Mais déjà Hippolyte avait développé longuement ces rappels :
Prie à la troisième heure et loue Dieu.. Car à cette heure on a vu le Christ attaché au bois... Prie également à la sixième heure, car quand le Christ fut attaché au bois de la croix, ce jour fut interrompu et il se fit une grande obscurité. Aussi on fera à cette heure une prière puissante, en imitant la voix de celui qui priait et qui obscurcit toute 1a création, pour les Juifs incrédules. On fera aussi une grande prière et une grande louange à la neuvième heure, pour imiter la manière dont l'âme des justes loue Dieu qui ne ment pas, qui s'est souvenu de ses saints et envoya son Verbe pour les éclairer. À cette heure donc, le Christ percé au coté répandit de l'eau et du sang, et éclairant le reste du jour, le mena jusqu'au soir.
La prière nocturne a fait l'objet d'exhortations de la part de saint Cyprien, pour imiter l'exemple du Christ et celui d'Anne la veuve. Origène, nous l'avons vu, se référait à celui du psalmiste et à celui de Paul et Silas dans leur prison. Hippolyte, prévoyant une prière au chant du coq, complète le souvenir de la Passion : "à cette heure, les fils d'Israèl ont renie le Christ", mais il ajoute aussitôt "(lui) que nous, nous reconnaissons par la foi, dans l'espérance de la lumière éternelle à la résurrection des morts, les yeux tournés vers ce jour". Quant à la prière qu'il recommande vers minuit, Hippolyte la rattache évidemment à l'attente eschatologique de l’Epoux, mais il ajoute un argument dont l'origine est inexpliquée :
Les anciens qui nous ont rapporté la tradition nous ont enseigné ainsi qu'à cette heure toute la création se repose un moment pour louer le Seigneur : les astres, les arbres, les cieux s'arrêtent un instant et toute l'armée des Anges qui le sert, loue Dieu à cette heure avec les âmes des Justes. C'est pourquoi ceux qui croient s'empressent de prier à cette heure.
Si par contraste avec ces temps de prière, ceux du matin et du soir, qui sont proposés comme obligatoires, ne reçoivent aucune justification de la part de Tertullien et d'Hippolyte, c'est sans doute parce qu'ils sont déjà entrés dans les mœurs, et se rattachent à la tradition juive : Origène se contente d'invoquer pour eux le témoignage des psaumes. Mais le lever et le coucher du soleil éveillent trop d'harmonies bibliques pour qu'on ne les rappelle pas à propos de la prière qui doit se faire à ces moments. Déjà saint Clément de Rome voyait dans l'aube qui succède à la nuit une image de la résurrection ; saint Cyprien dira clairement : "il faut prier le matin pour célébrer par cette prière la résurrection du Seigneur" et il ajoute :
De même quand le soleil se couche et que le jour s'achève, il faut encore prier. Le Christ est le vrai soleil, il est le jour véritable. Au moment où disparaissent le soleil et le jour de ce siècle, nous prions, nous demandons que la lumière vienne néanmoins sur nous ; nous intercédons alors pour que se produisent l’avènement du Christ et 1a révélation gracieuse de la lumière éternelle. Le vrai soleil et le véritable jour, c'est le Christ.
Cette évocation du Christ, soleil de justice, était certes bien opportune au moment où se développait dans l'Empire le culte du soleil, mais elle est si profondément liée à la Révélation qu'elle demeure toujours aussi valable : "Le Verbe était la vraie lumière qui éclaire tout homme en venant dans ce monde" (Jn 1 9). Ce thème inspirait déjà la prière d'action de grâce que, selon Hippolyte, l'évêque prononce, lors des réunions d'agape, lorsque, le soir venu, le diacre apporte la lampe ; il inspirera aussi l'admirable et populaire Phôs hilaron, qui semble avoir été composé avant la fin du III° siècle.
L'agape, avec son "lucernaire", est un rassemblement exceptionnel de la communauté ; Tertullien fait allusion à des vigiles, qui doivent être également rares, en plus, bien sûr, de la solennité pascale qui, toujours au témoignage de Tertullien, dure une nuit entière". Hippolyte laisse entendre qu'à certains jours il peut y avoir une instruction de la parole (per verbum catecizatio) qui presse les fidèles à venir à l'assemblée. En dehors de ces cas très limités, il n'y a donc que la réunion dominicale autour de l'eucharistie. Tous les temps de prière que les auteurs spirituels du III° siècle prescrivent ou recommandent s'observent individuellement ou en famille. Cependant, ils créent une communauté invisible, lorsqu'ils font prier tous les fidèles aux mêmes moments. La fin des persécutions et le développement des édifices du culte permettront la manifestation extérieure de ces rythmes de prière.
Quant au symbolisme des Heures, tel qu'il a été élaboré par Clément, Origène, Hippolyte, Tertullien et Cyprien, il sera adopté et transmis par tous les auteurs qui traiteront de la prière : sa présentation à peu près définitive sera l’œuvre de Jean Cassien à la fin du IV° siècle ; surtout il inspirera en grande partie les textes et les gestes qui feront de la liturgie des Heures le rappel quotidien de l'économie du salut.
La prière communautaire des Heures après la paix de l'Eglise. (IV°-VI° siècles).
Au cours du IV° siècle, la paix de l'Eglise favorise la vie liturgique, grâce à la construction des lieux de culte, aux pèlerinages et surtout à l'essor de l'ascèse ; la prière des heures devient communautaire et s'organise un peu partout sous deux formes : la prière du peuple chrétien autour de l'évêque et de ses prêtres (l'office cathédral), la prière des ascètes et des moines (office monastique).
La prière des heures du peuple chrétien.
Eusèbe de Césarée, commentant vers 330-340 le psaume 64, s'écrie avec enthousiasme à propos des versets 9-10 :
Le fait d'instituer pour Dieu par toute la terre dans les Eglises de Dieu, à chaque sortie du soleil à l'aurore et à chaque retour des heures du soir, des " hymnes ", des " louanges " et, à la lettre, des " plaisirs divins ", c'est le signe pas ordinaire de la puissance de Dieu. Ce sont des " plaisirs de Dieu ", ces hymnes qui, à chaque aurore et à chaque soir, s'élèvent de par toute la terre dans les Eglises...
En effet, au moins à partir du milieu du IV° siècle, les témoignages abondent pour mentionner ou décrire ces assemblées quotidiennes, non seulement en Palestine, mais à Antioche, à Constantinople, en Afrique. Saint Jean Chrysostome, à Antioche, catéchisant ses néophytes, les avertit qu'elles font partie nécessaire de la journée d'un chrétien. Les Conciles espagnols et gaulois des V° et VI° siècles légifèrent souvent pour en fixer le détail ou en recommander la fréquentation. Ce sont en effet des réunions populaires : les fidèles chantent les " psaumes du matin" et les " psaumes du soir", toujours identiques et qu'ils savent par cœur ; s'y ajoutent, surtout le matin, des cantiques bibliques ou même non bibliques ; dans certaines Eglises, il y a une prédication presque quotidienne ; la cérémonie se conclut par des intercessions et une collecte prononcée par l'évêque ou un prêtre.
Outre ces deux réunions quotidiennes de prière, les fidèles peuvent être convoqués, de façon plus ou moins fréquente à des veillées ou assemblées nocturnes. En effet, à l'imitation de la vigile pascale, d'autres grandes fêtes ont été célébrées par une vigile, comportant des lectures, des prières et des chants et se terminant par la messe : Noël, l'Epiphanie, la Pentecôte ; il y a même eu dans certaines Eglises des vigiles chaque dimanche, et parfois le vendredi. Mais les veillées les plus populaires ont été sans conteste celle des anniversaires des martyrs, célébrées auprès de leur tombeau. Ces vigiles font suite souvent à la prière du soir, celle-ci donnant alors de la solennité au lucernaire, le geste d'allumer les lampes ou un grand cierge.
La prière des heures des ascètes et des monastères.
Parmi les chrétiens soucieux d'une vie plus parfaite, d'une consécration au Seigneur dans l’ascèse et la prière, certains demeurent dans la ville ; leur prière s'organise alors dans l'église locale, présidée par des prêtres : ce sont, en Orient, des "fils et filles de l'Alliance", en Occident, des vierges consacrées et des devoti ou sancti. Mais d'autres se retirent au désert, dans des monastères, à l'intérieur desquels ils ménagent un lieu de prière, oratorium. Ces derniers surtout mais pas seulement eux, obéissent à une règle, parfois minutieusement précise : en Egypte, la plus célèbre est celle de saint Pacôme ; en Orient, celle de saint Basile ; en Occident, l'Ordo monasterii augustinien, les Règles de saint Césaire, d'Aurélien, du Maître, de saint Benoît, de saint Colomban, de saint Isidore, de saint Fructueux. Tous, cherchent à observer le plus étroitement possible le précepte de la prière incessante si nettement formulé dans le Nouveau Testament et les traités des premiers auteurs spirituels. Mais ils le réalisent de différente façon selon leur propre tradition: Cassien, qui a visité aux environs de l'an 400 les monastères d'Égypte, de Palestine et de l'Orient, distingue deux principaux usages. Les moines d'Egypte, s'il faut l'en croire, n'avaient que deux réunions de prière commune prolongée : le soir et le matin ; ils rejetaient toutes les autres heures parce que c'est sans cesse et non par intermittence qu'ils voulaient prier. Même si, sur bien des points, la description de Cassien est contredite par les documents que l'on a pu étudier de nos jours, il demeure exact qu’au moins le monachisme pachômien n’avait que ces deux stations communautaires de prière au sens strict du terme.
A cette exception près, on peut dire que toutes les familles monastiques ont rendu communautaires les heures de prière que nous avons vu recommandées aux chrétiens par les maîtres spirituels du III° siècle. Elles observent, dans la journée, la troisième, la sixième et la neuvième heure au cours desquelles les moines chantent ou écoutent proclamer plusieurs psaumes suivis, parfois, de lectures. Ils ont tous également des prières nocturnes prolongées, soit au milieu de la nuit, soit au chant du coq, mais à certaines fêtes ou même chaque dimanche, ce peut être une veillée de la nuit entière. Ces heures s'ajoutent, bien sûr, aux deux temps que pratiquent les fidèles dans les églises de la ville, le matin et le soir, mais qui, chez les moines, ont souvent une structure différente, surtout lorsque la communauté ne comporte pas de prêtre elles sont alors, comme les autres heures monastiques, composées d'une lectio continua de psaumes et de lectures.
En outre deux nouveaux temps de prière apparaissent dans l'usage monastique. C'est d'abord au moment du coucher, une prière consistant principalement dans la récitation du psaume 90 : saint Basile en est le premier témoin ; on la retrouvera à peu près partout, sous le nom de completa ou completorium. L'autre prière ne sera pas accueillie unanimement : c'est celle de la première heure, Prime, instituée, selon Cassien, par les moines de Bethléem vers la fin du IV° siècle pour éviter que les moines paresseux, après la prière de l'aurore, ne se recouchent jusqu'à la troisième heure. Doublet par rapport au matutinum, n'évoquant aucun souvenir biblique, Prime ne s'est maintenue jusqu'à nos jours que parce qu'elle avait été adoptée par les législateurs monastiques d'Italie et de Provence et parce qu'il s'y est ajouté, à l'époque carolingienne, l'"office du chapitre".
Mise en commun des deux rythmes de prière.
Ce serait une erreur d'opposer la prière des ascètes à la prière du peuple chrétien : s'il est vrai qu'elles obéissent à des structures différentes, elles ont été perçues comme complémentaires et le demeurent. C'est ainsi que bien des Règles monastiques ont adopté la prière du matin et celle du soir des Eglises, soit que celles-ci s'ajoutent à une station psalmique proprement monastique ou bien constituent des temps de prière distincts - ainsi dans l'Ordo monasterii augustinien et dans les monastères provençaux on trouve à la fois un lucernarium et une duodecima, - soit que l'on suive simplement, pour ces heures, le seul usage ecclésial. De même, le dimanche et aux jours de fête, à une vigile de type spécifiquement monastique peut se joindre une autre vigile de type ecclésial.
Mais cette union entre les deux rythmes de prière et leur génie respectif s'est faite tout naturellement dans les églises qui étaient fréquentées par des ascètes ou moines habitant la ville. C'est le cas à Rome, où se développent au VI° siècle les monastères urbains autour des basiliques de pèlerinage ; c'est le cas à Césarée de Cappadoce et en Afrique, si l'on remarque que les Règles de saint Basile et l'Ordo monasterii s'adressent à des communautés d'ascètes qui prient avec les fidèles. Mais nous connaissons encore mieux, grâce aux descriptions d’Egérie, la vie liturgique de Jérusalem : prières officielles de l'Église et prières des monazontes et parthenae (sic) se succèdent dans la même basilique de l'Anastasis ; on les distingue aisément ; cependant les ascètes participent, bien entendu, a l'assemblée du peuple autour de l'évêque, et des fidèles pieux reviennent volontiers à la prière des ascètes, que d'ailleurs préside, à tour de rôle, l'un des prêtres. A plus forte raison, lorsque autour d'un évêque comme Augustin ou Césaire d'Arles les prêtres mènent une vie commune, les fidèles seront invités de façon pressante à venir participer avec eux même aux heures de prière non obligatoires, surtout dans les temps de supplication intense, comme le carême, les "Rogations".
C'est cette rencontre harmonieuse entre deux expressions et deux rythmes de la prière des heures qui constitue dans les Eglises d'Occident et d'Orient, le patrimoine traditionnel de l'office divin.
Surcharge et décadence du rythme des heures.
Cependant l'idéal de la prière des heures a été obscurci au cours des siècles par deux tendances presque opposées l'une à l'autre ; soit que l'on surcharge l'horaire ou le contenu des heures, soit qu'on abolisse leur référence au rythme naturel des jours et des nuits.
Les surcharges du rythme des heures.
Les heures de prière suffisent-elles pour satisfaire au précepte de prier sans cesse ? Non, bien sûr, mais "par les paroles que nous prononçons alors, dit saint Augustin, nous nous avertissons nous-mêmes de reprendre nos élans et nous empêchons, par des reprises fréquentes, que ce qui est tiède ne se refroidisse et que la flamme religieuse ne finisse par s'éteindre en nous". Car on ne peut éviter "les soins et les affaires" ; même le moine doit gagner son pain. A la suite des Pères du désert, les Orientaux chercheront les moyens de se maintenir dans la prière au milieu de leur travail, par exemple par la pratique de la " prière de Jésus". Certains ermites des premiers temps, voire à diverses époques des monastères entiers essaieront de pratiquer la "laus perennis" soit en prolongeant les prières des heures aux limites des forces humaines (les "acémètes"), soit en se relayant par groupes dans l'oratoire pour y assurer une psalmodie perpétuelle.
C'est sans doute dans le même esprit que, les moines hispaniques ont multiplié les heures de l'office : le Rituale antiquissimum (Silos, ms. 7), du XI° siècle, ajoute aux heures de l'ordo cathedralis - Matutinum et Vesperum - et aux heures "canoniques" de Tierce, Sexte, None, Complies et Nocturnes, les heures suivantes : Prima et secunda, Quarta et quinta, Septima et octava (liées deux par deux), Decima, undecima et duodecima (les trois ensemble), Ante completa, Post completa, Ante lectulum, Ad medium noctis, Ordopeculiaris vigiliae, de façon à obtenir douze heures diurnes et douze heures nocturnes. La même tendance s'est manifestée dans l’Eglise byzantine, où, depuis le XII° siècle, l'Horologion prévoit des "Heures intermédiaires" venant (au moins durant les carêmes) après les heures traditionnelles de Prime, Tierce, Sexte, None ; auxquelles s'ajoutent l'office des Typika, l'office de la table et, à certains jours les "grandes complies".
Le moyen âge latin a souffert d'une autre forme de surcharge de la Liturgie des Heures : l'addition quotidienne ou du moins fréquente de l'Office de la Vierge et de l'Office des défunts (certains ordres monastiques les ont conservés jusqu'à notre époque), et, à certains jours, des prières supplémentaires : psaumes de la pénitence, psaumes graduels, psalmi familiares, litanies des Saints…
La disparition du sens de la " vérité des heures ".
La Liturgie des Heures a enfin connu une dégradation encore plus considérable : progressivement : c'est la "vérité des heures" (veritas horarum, comme dit le II° Concile du Vatican) qui a été abandonnée.
Dans la célébration chorale et publique, il semble que plusieurs causes ont agi pour perturber l'horaire En carême, comme le jeûne s'imposait rigoureusement jusqu'à la nuit, c'est-à-dire jusqu'après les vêpres, on en arriva à anticiper celles-ci jusqu'avant midi, interprétant à rebours la rubrique : Vesperae dicuntur ante comestionem. Pour le même motif, la messe, qui ne pouvait être célébrée ces jours-là qu'à une heure tardive (après none), a entraîné dans la matinée la célébration de Sexte et de none. Durant le triduum sacré, peut-être pour faciliter la participation du peuple, l'office des Ténèbres, qui normalement aurait dû être chanté à la fin de la nuit, a été anticipé à la veille, perturbant ainsi toute la succession des souvenirs de la Passion ; bien plus, il a entraîné avec lui à l'heure du soir, le chant des Laudes, office de l'aurore. Les clercs n'habitant pas toujours auprès de l'église dans laquelle ils devaient s'acquitter de l'obligation chorale, ont sans doute contribué au blocage des Heures sans égard à leur signification ; mais le même défaut se vérifiait dans les monastères et couvents.
La récitation privée, de son côté, donnait lieu à des distorsions encore plus anormales. Le principe louable "Dieu premier servi " poussait les prêtres pieux du XIX° siècle et de la première moitié du XX° à s'acquitter dès le début de l'après-midi du Nocturne et des Laudes du lendemain, et à solliciter le privilège de célébrer Vêpres et Complies avant midi ! Le cardinal de Richelieu, occupé sans relâche par sa charge de premier ministre, consacrait, paraît-il, deux heures un jour entre autre, entre onze heures du soir et une heure du matin, pour s'acquitter d'un seul trait des offices des deux jours. Mais plus communément, trop de prêtres de notre époque se retrouvaient, tard dans la soirée, à dire "Jam Lucis orto sidere".
Or depuis au moins la fin du XVI° siècle, le besoin de prier au rythme des heures, qui ne recevait plus de la liturgie sa satisfaction, a cherché à s'exprimer autrement, et ceci de façon populaire, particulièrement par la coutume de l'Angelus ou Ave Maria, annoncé par les cloches trois fois le jour, à l'aurore, à midi et au crépuscule.
La "vérité des heures" retrouvée au II° Concile du Vatican.
Dès 1960, le Codex rubricarum publié sous l'autorité du pape Jean XXIII avait voulu mettre fin à certains des abus que nous venons de décrire et posait comme principe :
Les Heures canoniques de l'office divin ont pour but, par leur établissement et leur structure, de sanctifier les diverses heures du jour naturel. Il importe donc, pour sanctifier véritablement la journée comme pour réciter les Heures avec fruit spirituel, que l'on observe dans leur acquittement le temps qui se rapproche le plus du temps véritable de chaque Heure canonique.
Le II° Concile du Vatican dans sa Constitution sur la liturgie a pareillement insisté sur "la vérité des heures" de l'office divin :
L'office divin, d'après l'antique tradition chrétienne, est constitué de telle façon que tout le déroulement du jour et de la nuit soit consacré par la louange de Dieu.
Puisque la sanctification de la journée est la fin de l'office, le cours traditionnel des Heures sera restauré de telle façon que les Heures retrouveront la vérité du temps, dans la mesure du possible...
Mais le Concile a voulu aussi "qu'il soit tenu compte des conditions de la vie présente, surtout pour ceux qui s'appliquent aux œuvres de l'apostolat". Aussi a-t-il pris un certain nombre de décisions destinées à rendre réalisable dans les circonstances modernes l'idéal de prière traditionnel. Ces décisions, évidemment, ne concernent que l'Office romain : elles peuvent néanmoins inspirer la réforme des autres traditions liturgiques, en tenant compte toutefois du caractère original de chacune et notamment de la nature propre de la vie monastique. Nous les commenterons plus loin.