Origines.

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Dixième sermon en la Nativité du Seigneur.

 [Léon Le Grand, traduction Sources Chrétiennes n°22]

1 - Souvent, vous le savez, bien-aimés, nous nous sommes acquittés envers vous du devoir qui nous incombe de vous donner la parole du salut, en vous parlant de la précellence de la fête d'aujourd'hui ; et nous ne doutons pas que la puissance de la bonté divine n'ait si bien brillé en vos cœurs que votre intelligence n'ait aussi saisi ce que la foi avait planté en vous. Cependant, parce que la naissance de notre Seigneur et Sauveur - non seulement celle qui est du Père selon la divinité, mais même celle qui est de sa mère selon la chair - parce que cette naissance dépasse les possibilités du langage humain, faisant qu'on peut rapporter à l'une et à l'autre cette parole : "Qui racontera sa naissance ?", pour ce motif même qu'on ne peut en disserter dignement, les raisons d'en parler se multiplient sans fin. Non qu'on soit libre d'en avoir des opinions variées, mais parce qu'à la dignité du sujet nulle langue ne peut suffire. La grandeur de ce mystère, qui était arrêté de toute éternité pour le salut de l'humanité et a été dévoilé à la fin des siècles, ne souffre ni qu'on ôte ni qu'on ajoute quoi que ce soit à son intégrité : pas plus qu'il ne perd ce qui lui est propre, il n'accueille ce qui lui viendrait d'ailleurs ; mais beaucoup, s'attachant à leurs propres idées et plus prompts à enseigner ce qu'ils n'ont pas encore compris qu'à s'en instruire, beaucoup, selon le mot de l'Apôtre, "ont fait naufrage dans la foi". Je voudrais ramasser en une brève analyse leurs opinions perverses et contradictoires, afin que, une fois les ténèbres de l'erreur séparées de la lumière de la vérité, vous soyez à même d'honorer religieusement les bienfaits de Dieu et d'éviter en connaissance de cause les mensonges des hommes.

2 - Certains, partant des marques extérieures de la naissance de notre Seigneur Jésus-Christ, marques qui le montraient comme un vrai fils d'homme, n'ont pas cru qu'il fût davantage qu'un fils d'homme ; ils n'ont pas pensé devoir attribuer la divinité à celui-là même dont ils avaient constaté la similitude avec le reste des mortels et dans les premiers moments de son enfance et dans sa croissance corporelle et dans sa condition souffrante jusqu'à la croix et à la mort. D'autres, par contre, émerveillés à la vue de ses œuvres de puissance et comprenant que la nouveauté de sa naissance et le pouvoir de ses paroles et de ses actes relevaient de la nature divine, ont pensé qu'il n'y avait en lui rien de notre substance ; tout ce qui fut activité et condition corporelle, ou bien aurait eu, selon eux, son principe dans une matière d'une nature plus haute, ou bien n'aurait eu qu'une fausse apparence de chair, si bien que les sens de ceux qui le voyaient et le touchaient étaient en fait le jouet d'une image trompeuse, Enfin certains hérétiques sont arrivés à cette persuasion de prétendre démontrer que, de la substance même du Verbe, quelque chose avait été changé en chair et que Jésus né de la Vierge Marie ne tenait rien de la nature de sa mère ; mais qu il fût Dieu et qu'il fût homme, l'une et l'autre chose relevaient de ce qu'il est le Verbe ; en sorte que, dans le Christ, par suite de la différence de substance, fausse aurait été l'humanité, et, par suite de l'imperfection d'une nature changeante, fausse aurait été la divinité.

3 - Ces affirmations impies, bien-aimés, et d'autres encore conçues sous l'inspiration du diable et répandues pour la perte de beaucoup par des hommes instruments de perdition, la foi catholique, autrefois, les a anéanties, elle qui a Dieu pour maître et pour appui ; l'Esprit-Saint, par le témoignage de la Loi, par les oracles des prophètes, par la proclamation de l'Evangile et par l'enseignement des apôtres, nous exhorte et nous apprend à croire avec fermeté et intelligence que, comme le dit saint Jean, "le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous". Oui, parmi nous, car la divinité du Verbe nous a unis à lui, et nous sommes sa chair qu'il a prise du sein de la Vierge. Si sa chair n'était pas la nôtre, c'est-à-dire vraiment humaine, le Verbe fait chair n'aurait pas habité parmi nous, Mais il a habité parmi nous, car il a fait sienne la nature de notre corps, la Sagesse se construisant une maison faite non d'une matière quelconque, mais d'une substance qui est proprement la nôtre, et dont l'assomption est indiquée clairement par les mots : "Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous".

A cette sainte proclamation, l'enseignement de l'apôtre saint Paul fait écho en ces termes : "Prenez garde que personne ne vous abuse par la philosophie et par de vaines tromperies, selon une tradition tout humaine, selon les éléments du monde, et non selon le Christ ; car en lui habite corporellement toute la plénitude de la Divinité et vous vous trouvez en lui associés à cette plénitude". Toute la Divinité remplit donc tout le corps ; et, de même que rien ne manque de cette majesté, qui, en l'habitant, remplit ce qui lui sert d'habitacle, ainsi il n'est rien dans le corps qui ne soit rempli par celui qui l'habite. Quant aux mots : "Et vous vous trouvez en lui associés à cette plénitude", ils signifient en vérité notre nature ; car cette plénitude ne nous concernerait pas si le Verbe de Dieu n'avait pas pris pour se les unir le corps et l'âme propre à notre race.

4. Reconnaissons-le donc sans réserve, bien-aimés, et confessons-le de tout notre cœur, cette génération par laquelle le Verbe et la chair, c'est-à-dire Dieu et l'homme, deviennent un seul fils de Dieu et un seul Christ, l'emporte en excellence sur toute origine et création humaine. Ni la formation d'Adam à partir de la glaise du sol, ni la création d'Eve à partir de la chair d'Adam, ni la mise au monde des autres hommes par l'union des sexes, ne peuvent se comparer à la venue de Jésus-Christ, Abraham engendra dans sa vieillesse un héritier de la promesse divine, et Anne la stérile conçut, bien qu'ayant dépassé l'age de la fécondité. Jacob fut aimé de Dieu avant que d'être né et, la grâce divine prévenant ses actions personnelles, il fut distingué de son frère jumeau rude et velu. Il fut dit à Jérémie : "Avant de te former au ventre maternel, je t'ai connu ; avant que tu sois sorti du sein, je t'ai consacré". Anne, longtemps inféconde, mit au monde le prophète Samuel qu'elle offrit à Dieu, devenant ainsi célèbre et par son enfantement et par son vœu. Le prêtre Zacharie eut une sainte descendance d'Elisabeth la stérile et Jean, précurseur du Christ à venir, reçut l'esprit prophétique dans les entrailles de sa mère ; avant même que de naître, et tout enfermé qu'il fût dans le sein maternel, il désigna par un tressaillement secret et significatif la mère du Seigneur. Ce sont là des choses grandes et remplies de prodiges propres aux œuvres divines, mais on s'en étonnera d'autant plus modérément qu'elles sont plus nombreuses. La naissance de notre Seigneur Jésus-Christ, par contre, dépasse toute intelligence et transcende tous les exemples qu'on pourrait prendre ; elle ne peut être comparée à aucun, étant unique entre tous. A une Vierge choisie, qu'autrefois la voix des prophètes et des symboles voilés avaient promise de la race d'Abraham et de la souche de Jessé, un archange annonce une bienheureuse fécondité, qui n'entraînera aucun dommage pour son intégrité virginale, car ni la conception ni l'enfantement ne porteront atteinte à sa virginité consacrée. L'Esprit-Saint, en effet, venant en elle et la puissance du Très-Haut la couvrant de son ombre, l'immuable Verbe de Dieu prit de son corps immaculé le vêtement de sa chair humaine, chair qui n'aurait aucune souillure venue de la concupiscence charnelle, et à laquelle pourtant rien de ce qui constitue la nature de l'âme et du corps ne serait étranger.

5. Qu'ils s'écartent donc loin de nous, et qu'ils rentrent dans leurs ténèbres, ces monstres que sont les inventions des hérétiques et les tromperies folles et sacrilèges. Pour nous, nos maîtres sont la foule des esprits célestes louant Dieu dans la joie, et les bergers que vinrent instruire les anges ; ayant ainsi reconnu les marques visibles de la double nature, nous adorons en conséquence et le Verbe dans le Christ homme, et le Christ homme dans le Verbe. Car si, selon le mot de l'Apôtre, "celui qui s'unit au Seigneur n'est avec lui qu'un seul esprit", comment à plus forte raison le Verbe fait chair ne sera-t-il pas un seul Christ ? En lui, en effet, rien n'existe qui appartienne à l'une des natures sans appartenir aux deux à la fois.

Ne nous laissons donc pas troubler par le dessein de la miséricorde de Dieu qui nous réforme pour nous donner et l'innocence et la vie ; puisque nous reconnaissons dans notre Sauveur les caractères évidents de sa double nature, ne doutons ni de la vérité de sa chair dans sa gloire divine ni de la majesté de sa divinité dans son abaissement humain. C'est le même qui est dans la condition divine et qui a pris la condition d'esclave. C'est le même qui demeure incorporel et assume un corps. C'est le même qui est inviolable en sa puissance et passible en notre faiblesse. C'est le même qui ne s'éloigne pas du trône de son Père, et que les impies crucifient sur le bois. C'est le même qui s'élève, vainqueur de la mort, au delà des hauteurs des cieux, et qui reste avec l'Eglise universelle jusqu'à la fin du monde. C'est le même enfin qui, revenant dans cette chair en laquelle il s'est élevé, jugera les actions de tous les mortels, comme il s'est soumis au jugement des impies. Et, pour ne pas nous attarder à de multiples témoignages, qu'il nous suffise d'invoquer seulement celui-ci, tiré de l'évangile de saint Jean, où notre Seigneur lui-même dit : "En vérité, en vérité, je vous le dis, l'heure vient, et nous y sommes, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu et ceux qui l'auront entendue vivront, Comme le Père, en effet, dispose de la vie, ainsi a-t-il donné au Fils d'en disposer lui aussi : et il l'a constitué souverain juge, parce qu'il est le Fils de l'homme".

Dans une seule phrase, il montre donc que le même est Fils de Dieu et Fils de l'homme. Ainsi voyons-nous comment nous devons croire au Christ Seigneur dans l'unité de sa personne ; alors qu'il est le fils de Dieu par qui nous avons été faits, il s'est fait aussi fils de l'homme en prenant notre chair, afin de mourir, comme le dit l'Apôtre, "pour nos péchés" et de ressusciter "pour notre justification".

6. Cette profession de foi, bien-aimés, ne redoute aucune contradiction, ne se dérobe devant aucune erreur. Par elle, en effet, nous reconnaissons la miséricorde de Dieu, promise dès le commencement et préparée avant les siècles ; seule, cette miséricorde pouvait affranchir l'humanité captive des liens par les quels l'auteur du péché, ce mauvais conseiller, avait enchaîné le premier homme et toute sa postérité, et dont il tirait argument pour revendiquer comme sienne, en vertu d'un premier arrêt rendu à l'origine, cette descendance qui s'était donnée à lui, Le secours essentiel qui est accordé aux hommes pour leur justification, c'est donc qua le Fils unique de Dieu ait daigné être aussi Fils de l'homme "en sorte que celui qui est Dieu, homousios à son Père, c'est-à-dire consubstantiel à lui, a aussi été un homme véritable et consubstantiel à sa mère selon la chair. Réjouissons-nous donc de ces deux natures en lui, car ce n'est que par les deux que nous sommes sauvés ; ne séparons en aucune manière la nature visible de celle qui est invisible, celle qui est corporelle de l'incorporelle, celle qui est passible de l'impassible, celle que l'on peut toucher de celle qui ne peut l'être, la condition d'esclave de la condition divine en effet, bien que l'une existe, immuable depuis toujours, tandis que l'autre a commencé dans le temps, elles ne peuvent cependant plus subir, depuis leur union, ni séparation ni fin ; celle qui élève et celle qui est élevée, celle qui glorifie et celle qui reçoit la gloire se sont attachées l'une à l'autre à un tel point que, dans l'exercice de la toute-puissance comme dans l'acceptation des opprobres, ce qui est divin dans le Christ n'était pas séparé de ce qui est humain, pas plus que ce qui est humain ne l'était de ce qui est divin.

7. C'est en croyant cela, bien-aimés, que nous sommes de vrais chrétiens, de vrais Israélites adoptés d'une authentique adoption pour partager le sort des enfants de Dieu ; tous les Saints qui ont vécu avant l'époque de notre Sauveur ont été justifiés par cette foi, et sont devenus le corps du Christ grâce à ce mystère, dans l'attente de la rédemption universelle des croyants en la descendance d'Abraham ; de cette descendance, l'Apôtre dit : "C'est à Abraham que les promesses furent faites et à sa descendance. L'Ecriture ne dit pas : et à ses descendants, comme s'il s'agissait de plusieurs ; elle n'en désigne qu'un et à ta descendance, c'est-à-dire le Christ". C'est pourquoi l'évangéliste Matthieu, voulant marquer que la promesse faite à Abraham a été accomplie dans le Christ, a passé en revue sa généalogie et a montré ainsi celui en qui reposait la bénédiction prévue pour tous les peuples. L'évangéliste Luc, lui aussi, partant de la naissance du Seigneur, a remonté, mais en sens inverse, la série de ses ancêtres, pour enseigner que même les siècles d'avant le déluge se rattachaient à ce mystère, et que toutes les étapes qui se sont succédées depuis l'origine conduisaient, degrés par degrés, jusqu'à celui-là en qui seul était le salut de tous.

Il n'y a donc pas à en douter, "il n'est pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par lequel il nous faille être sauvés", que celui du Christ, qui avec le Père et l'Esprit-Saint, vit et règne en l'égalité de la Trinité dans les siècles des siècles. Amen.