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Dixième sermon en la Nativité du Seigneur.

 [Léon Le Grand, traduction Sources Chrétiennes n°22]

1. Vous connaissez certes, bien-aimés, et vous avez fréquemment entendu rappeler tout ce qui concerne le mystère solennellement célébré aujourd'hui, mais, de même qu'est un plaisir pour des yeux sains cette lumière visible, de même elle donne une joie éternelle aux cœurs purs, cette naissance du Sauveur que nous ne devons jamais passer sous silence, même si nous ne pouvons l'expliquer comme il convient. Car nous croyons que les mots : "Qui racontera sa génération ?" ne concernent pas seulement le mystère selon lequel le Fils de Dieu est coéternel au Père, mais encore cette naissance par laquelle le Verbe s'est fait chair.

Dieu donc, Fils de Dieu, égal au Père, tenant du Père la même nature que le Père, Créateur et Maître de l'univers, tout entier présent partout et tout entier débordant tout, s'est, dans le cours des temps qui s'écoulent comme il l'a lui-même disposé, choisi ce jour-ci pour naître de la bienheureuse Vierge Marie en vue du salut du monde. Ce faisant, il laissait absolument intacte la virginité de sa mère, virginité qui, inviolée par cette naissance, n'avait pas été non plus profanée par la conception ; afin que s'accomplit, comme dit l'évangéliste, ce que le Seigneur avait dit par le prophète Isaïe : "Voici que la vierge concevra et qu'elle enfantera un fils, auquel on donnera le nom d'Emmanuel". En effet, par cet admirable enfantement, la vierge sainte a mis au monde une personne unique, vraiment humaine et vraiment divine, car les deux substances n'ont pas retenu leurs propriétés de telle manière qu'on pût faire en elles distinction de personnes ; on ne peut pas davantage dire que la créature ait été assumée pour être associée à son Créateur en sorte que celui-ci fût l'habitant et celle-là la demeure ; non, les deux natures ont été mêlées l'une à l'autre. Et bien que celle qui est reçue soit autre, et autre celle qui reçoit, leur diversité respective se rencontre en une telle unité que c'est un seul et même Fils qui, en tant qu'il est vraiment homme, se dit inférieur au Père, et, en tant qu'il est vraiment Dieu, se déclare égal au Père.

2. Cette unité, bien-aimés, en laquelle la créature est étroitement jointe au Créateur, la cécité des Ariens n'a pu la voir des yeux de l'intelligence, parce qu'ils n'ont pas cru que le Fils unique de Dieu partageait avec le Père la même gloire et la même substance, et qu'ils ont déclaré inférieure la divinité du Fils, prenant argument de ce qui doit être rapporté à la condition servile ; or le même Fils de Dieu, pour montrer que cette condition ne relevait pas d'une personne distincte ou différente, dit aussi bien, dans la même condition : "Le Père est plus grand que moi", que : "Le Père et moi, nous sommes un".

En effet, dans la condition du serviteur, qu'il a prise à la fin des siècles pour nous rénover, il est inférieur au Père; dans la condition de Dieu, par contre, en laquelle il était avant les siècles, il est égal au Père. Dans son abaissement humain, il est devenu enfant d'une femme, il est devenu sujet de la Loi ; dans sa majesté divine, il demeure le Verbe de Dieu par qui toutes choses ont été faites. Ainsi celui qui, dans sa condition de Dieu, a fait l'homme, dans sa condition de serviteur, a été fait homme ; mais l'un avec l'autre est Dieu par la puissance de la nature qui assume, l'un avec l'autre est homme par l'humilité de la nature assumée. Chaque nature, en effet, garde ce qui lui est propre sans diminution : comme la condition de Dieu ne supprime pas la condition de serviteur, ainsi la condition de serviteur n'amoindrit pas la condition de Dieu. C'est pourquoi le mystère de l'union de la force avec la faiblesse permet bien, eu égard à cette même nature humaine, de dire le Fils inférieur au Père, mais la Divinité qui est une dans la Trinité du Père, du Fils et de l'Esprit-Saint, exclut toute idée d'inégalité. Là, en effet, l'éternité n'a rien qui relève du temps, la nature rien qui crée des dissemblances ; là règne une unique volonté, une même substance, une égale puissance, et il n'y a pas trois dieux, mais un seul Dieu ; car l'unité est vraie et indissoluble là où ne peut exister aucune diversité. Un vrai Dieu est donc né dans la nature complète et parfaite d'un vrai homme, tout entier dans ce qui lui appartient, tout entier dans ce qui est à nous. Nous disons "à nous" ce que le Créateur a mis en nous dès l'origine et qu'il a pris pour le réparer. Car, de ce que l'esprit trompeur a introduit et que l'homme trompé a accepté, il n'y a aucune trace dans le Sauveur, et ce n'est pas parce qu'il a consenti à partager les faiblesses humaines qu'il a eu pour autant part à nos fautes. Il a assumé la condition du serviteur sans la souillure du péché ; en élevant l'humanité, il n'a pas amoindri la divinité : car cet anéantissement par lequel lui l'invisible s'est rendu visible, fut abaissement de sa miséricorde, non démission de sa puissance.

3. Pour nous ramener de notre captivité originelle et des erreurs du monde au bonheur éternel, il est donc descendu vers nous, lui vers qui nous ne pouvions monter. Bien que, en effet, on trouvât chez beaucoup l'amour du vrai, cependant la diversité d'opinions incertaines n'aboutissait qu'au néant par suite de la fourberie des démons menteurs, et une science au nom usurpé entraînait l'ignorance humaine vers des doctrines variées et antagonistes. Mais, pour abolir ces jeux trompeurs par lesquels les âmes, faites prisonnières, étaient les esclaves du diable enflé d'orgueil, l'enseignement de la Loi ne suffisait pas, pas plus que notre nature ne pouvait être restaurée par les seules exhortations des prophètes ; il fallait que la réalité de la rédemption s'ajoutât aux instructions morales et que notre origine, viciée dès le début, renaquît avec de nouveaux commencements. Pour réconcilier les hommes, une victime devait être offerte, victime qui fût de notre race, tout en étant étrangère à notre corruption. Ainsi le plan de Dieu qui était d'effacer le péché du monde dans la naissance et la Passion de Jésus-Christ, s'étendrait à toutes les générations et à tous les siècles, et les mystères, variés suivant les temps, loin de nous déconcerter, nous affermiraient plutôt, puisque la foi qui nous fait vivre, elle, ne change pas suivant les temps.

4. Que cessent donc les plaintes de ceux qui, par des murmures impies, critiquent les plans divins en s'en prenant au retard de la naissance du Seigneur, comme si ce qui a été accompli au dernier âge du monde ne l'avait pas été aussi au bénéfice des siècles passés.

En effet, ce qu'apporta l'Incarnation du Verbe regardait le passé comme l'avenir, et aucun âge, si reculé fût-il, ne fut privé du sacrement du salut des hommes. Ce qu'ont prêché les Apôtres, c'est ce que les Prophètes avaient annoncé, et l'on ne peut dire qu'a été accompli tardivement ce qui a été cru de tout temps. Mais Dieu, dans sa sagesse et sa bonté, en différant ainsi l'œuvre du salut, nous a rendus plus aptes à répondre à son appel ; car ce qui avait été prédit par de multiples signes, de multiples paroles, de multiples rites figuratifs, ne pouvait être ambigu aux jours de l'Evangile, et la nativité du Sauveur, qui allait dépasser tous les miracles et toute la capacité de l'intelligence humaine, engendrerait en nous une foi d'autant plus ferme qu'elle aurait été précédée d'annonces plus anciennes et plus fréquentes. Il n'est donc pas vrai que Dieu a pourvu aux affaires humaines en changeant de dessein et mû par une tardive miséricorde ; mais, dès la création du monde, il a décrété pour tous une seule et même voie de salut. Là grâce de Dieu, en effet, source constante et universelle de justification pour les saints, a grandi et non commencé lorsque le Christ est né. Ce mystère d'un grand amour, qui a maintenant rempli le monde entier, fut déjà si puissant même en ses signes avant-coureurs que ceux qui y ont cru quand il était promis n'en ont pas moins bénéficié que ceux qui l'ont reçu quand il était donné.

5. Aussi, bien-aimés, puisque c'est avec une bonté évidente que les si grandes richesses de la divine bienfaisance ont été répandues sur nous, alors que, appelés à l'éternité, non seulement nous avons l'utile secours des exemples du passé, mais encore nous avons vu apparaître la vérité elle-même sous une forme visible et corporelle, c'est pour nous un devoir de célébrer le jour de la naissance du Seigneur avec une joie qui ne soit ni molle ni charnelle. Or cela, chacun le fera dignement et avec zèle, s'il se souvient de quel corps il est membre et à quelle tête il est rattaché : qu'il prenne garde, tel une pièce mal adaptée, de ne pas faire corps avec l'édifice sacré. Considérez, bien-aimés, et, grâce à la lumière de l'Esprit-Saint, sachez discerner quel est celui qui nous a pris en lui et que nous avons pris en nous ; de même, en effet, que le Seigneur Jésus est devenu notre chair en naissant, de même en retour nous sommes devenus son corps en renaissant. Aussi sommes-nous et les membres du Christ et le temple de l'Esprit-Saint ; pour cette raison le saint Apôtre dit : "Glorifiez et portez Dieu dans votre corps" ; ce Dieu qui, en nous proposant l'exemple de sa bienveillance et de son humilité, nous a emplis de la vertu même par laquelle il nous a rachetés, selon la promesse du Seigneur : "Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai ; chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes". Acceptons donc le joug de la vérité pour être gouvernés par elle, joug qui n'est ni lourd ni pénible, et soyons-lui semblables dans son humilité, si nous voulons lui ressembler dans sa gloire ; lui-même nous aidant et nous conduisant jusqu'à l'obtention de ce qu'il a promis, car, dans sa grande miséricorde, il a le pouvoir d'effacer nos péchés et de parfaire ses dons en nous, lui Jésus-Christ notre Seigneur qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen.