Origines.
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Quatrième sermon en la Nativité du Seigneur.
[Léon Le Grand, traduction Sources Chrétiennes n°22]
1. Sans doute, bien-aimés, la divine bonté a-t-elle toujours veillé au bien du genre humain, et cela de diverses manières et de bien des façons, et a-t-elle miséricordieusement accordé les bienfaits multiples de sa providence à tous les siècles passés ; cependant, dans les derniers temps, elle a dépassé en abondance tout ce qu'avait accoutumé de faire sa bienveillance, lorsque, dans le Christ, la Miséricorde elle-même est descendue vers les pécheurs, la Vérité elle-même vers les égarés, la Vie elle-même vers les morts, si bien que le Verbe coéternel à son Père et égal à lui assuma l'humilité de notre nature pour l'unir à sa divinité, et que, Dieu né de Dieu, il naquit aussi être humain né d'un être humain.
Il est vrai, la promesse en avait été faite dès la création du monde, et la prophétie constamment répétée par de nombreux signes, actes ou paroles ; mais quelle portion de l'humanité ces figures et ces mystères cachés eussent-ils sauvée si le Christ n'avait réalisé par son avènement ces annonces lointaines et voilées et si ce qui fut autrefois profitable en promesse pour quelques croyants ne l'était désormais devenu, dans son accomplissement, pour d'innombrables fidèles ? Ce ne sont donc plus des signes ni des images qui nous conduisent maintenant à la foi, mais, affermis par le récit évangélique, nous adorons ce que nous croyons réalisé : les témoignages prophétiques contribuent à nous instruire, en sorte que nous n'éprouvons aucun doute sur ce que nous savons avoir été annoncé par de si grands oracles.
Tantôt, en effet, c'est le Seigneur qui dit à Abraham : "En ta postérité seront bénies toutes les nations". Tantôt, c'est David qui, animé de l'esprit prophétique, célèbre la promesse divine : "Le Seigneur l'a juré à David, et il ne l'en frustrera pas : c'est le fruit sorti de tes entrailles que je mettrai sur ton trône". C'est encore le même Seigneur qui dit par Isaïe : "Voici que la vierge sera enceinte et qu'elle enfantera un fils, et on l'appellera Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous." Et ailleurs : "Un rejeton sortira de la souche de Jessé et une fleur poussera de sa racine". En ce rejeton, sans aucun doute, a été annoncée la bienheureuse Vierge Marie, elle qui, née de la souche de Jessé et de David et fécondée par l'Esprit-Saint, a, de Son sein maternel, oui, mais par un enfantement virginal, mis au monde une nouvelle fleur de la nature humaine.
2. Que les justes exultent donc de joie dans le Seigneur, et les cœurs des fidèles dans la louange de Dieu ; que les enfants des hommes proclament ses merveilles, car c'est principalement par cette œuvre de Dieu que nous connaissons le grand prix auquel notre Créateur a estimé notre bassesse. Lui qui avait déjà beaucoup donné au genre humain à son origine en nous créant à son image, a accordé beaucoup plus à notre restauration en s unissant, lui le Seigneur, à notre condition servile. Sans doute tout ce que le Créateur dispense à sa créature émane d'une seule et même bonté ; il est pourtant moins surprenant de voir l'homme s'élever jusqu'au divin que Dieu s'abaisser jusqu'à l'humain. Or, si Dieu tout-puissant n'avait daigné faire cela, aucune espèce de justice, aucune forme de sagesse n'auraient pu arracher personne à l'asservissement du diable et à l'abîme de la mort éternelle. Car la condamnation serait demeurée, passant d'un seul à tous avec le péché, et la nature, corrompue par suite de sa blessure mortelle, n'aurait pas trouvé de remède, incapable qu'elle était de changer sa condition par ses propres forces.
Le premier homme, en effet, reçut sa substance charnelle de la terre et fut animé d'une âme raisonnable que son Créateur lui insuffla, afin qu'en vivant à l'image et à la ressemblance de son auteur, il conservât les traits mêmes de la bonté et de la justice de Dieu en une imitation admirable qui les refléterait comme un miroir. S'il avait persévéramment agi selon cette incomparable dignité accordée à sa nature en observant la loi à lui donnée, son âme intacte aurait conduit à la gloire céleste jusqu'à cette partie de lui-même qu'était son corps tiré de la terre. Mais, dans son irréflexion et pour son malheur, il crut le trompeur jaloux et, écoutant les conseils de l'orgueil, préféra s'emparer du surcroît d'honneur qui lui était réservé plutôt que de le mériter ; aussi entendit-il, et non seulement lui, mais encore toute la postérité qui était en lui, cette sentence : "Tu es terre, et tu retourneras à la terre". "Tel donc a été le terrestre, tels seront aussi les terrestres" ; et nul n'est immortel, car nul n'est céleste.
3. C'est pour briser cette chaîne de péché et de mort que le Fils tout-puissant de Dieu a pris en lui une nature humaine, lui qui remplit tout, qui contient tout, qui est égal en tout au Père et lui est coéternel dans une essence unique qu'il reçoit de lui et partage avec lui ; c'est pour cela que le Créateur et Seigneur de toutes choses a daigné être l'un des mortels, après s être choisi une mère qu'il avait faite, et qui, sans atteinte pour sa virginité, lui fournit seulement la substance de son corps ainsi la souillure inhérente à la semence humaine cesserait de se transmettre, et dans un homme nouveau habiteraient et la pureté et la vérité. Dans le Christ né du sein d'une vierge, ce n'est donc pas parce que la naissance est admirable que la nature est pour autant de la nôtre dissemblable. Etant, en effet, vrai Dieu, il est aussi lui-même vrai homme, sans qu'il y ait mensonge en aucune des deux natures. "Le Verbe s'est fait chair" en élevant la chair, non en diminuant la divinité ; celle-ci a si bien allié la puissance à la bonté qu'elle a élevé notre nature en la prenant et n'a rien perdu de la sienne en la communiquant.
Dans cette naissance du Christ s'est vérifiée la prophétie de David : "La vérité de la terre a germé, et la justice des cieux s'est penchée". Dans cette naissance aussi s'est accomplie la parole d'Isaïe : "Que la terre donne son fruit, qu'elle fasse germer le Sauveur et qu'en même temps se lève la justice". La terre de la nature humaine, en effet jadis maudite dans le premier prévaricateur, a produit dans ce seul enfantement de la Sainte Vierge un germe béni et étranger au vice de sa souche ; son origine spirituelle est acquise à quiconque dans la régénération, et, pour tout homme qui naît de nouveau, l'eau du baptême est comme le sein virginal : c'est le même Esprit, qui a rempli la Vierge, qui remplit maintenant la fontaine baptismale ; ainsi le péché qu'une sainte conception alors anéantit, l'ablution mystique ici l'enlève.
4. Entièrement étrangère à ce mystère, bien-aimés, est l'erreur insensée des Manichéens ; ils ne participent en aucune manière à la régénération du Christ, eux qui nient sa naissance corporelle de la Vierge Marie ; ainsi, ne croyant pas à la vérité de sa nativité, ils n'acceptent pas la vérité de sa Passion ; et celui dont ils ne reconnaissent pas qu'il ait été vraiment enseveli, ils nient qu'il ait été vraiment ressuscité. En effet, une fois engagés sur la route à pic d'une doctrine exécrable, où tout n'est que ténèbres et sol glissant, de précipices en précipices creusés par l'erreur, ils s'écroulent dans les abîmes de la mort. Ils ne trouvent rien de ferme à quoi se retenir, eux qui, sans parler des turpitudes imaginées par le diable, prennent plaisir, jusque dans la principale fête de leur religion, à la souillure des corps autant qu'à celle des âmes, comme leur récent aveu l'a fait connaître ; ne gardant ni l'intégrité de la foi, ni la pudeur, ils se découvrent aussi impies dans leurs croyances qu'obscènes dans leurs cérémonies.
5. Les autres hérésies, bien-aimés, méritent certes dans leur diversité d'être toutes condamnées ; pourtant chacune possède, en quelqu'une de ses parties, un élément de vérité. En définissant que le Fils de Dieu est inférieur au Père et n'est qu'une créature, en pensant que parmi toutes choses créées par le même Père, se trouve aussi l'Esprit-Saint, Arius s'est perdu par une grande impiété ; néanmoins, s'il n'a pas vu l'éternelle et immuable divinité dans l'unité de la Trinité, il ne l'a pas niée dans l'essence du Père. Macédonius, étranger à la lumière de la vérité, n'a pas admis la divinité du Saint-Esprit, mais il a confessé dans le Père et le Fils une seule puissance et une même nature. Sabellius, tombant par son erreur dans une inextricable confusion, a bien reconnu l'unité inséparable d'essence dans le Père, le Fils et l'Esprit-Saint, mais ce qu'il aurait dû attribuer à trois Personnes égales, il l'a donné à une seule. Incapable de comprendre une vraie trinité, il a cru qu'il n'y avait qu'une seule et même personne sous trois noms différents. Photin, trompé par sa cécité spirituelle, a reconnu dans le Christ un homme véritable et de notre nature, mais il n'a pas cru qu'il fût Dieu engendré de Dieu avant tous les siècles. Apollinaire, manquant d'une foi solide, a bien cru que le fils de Dieu avait pris un vrai corps relevant de la nature humaine, mais il a affirmé que, dans ce corps, il n'y avait pas d'âme, puisque la Divinité même en jouait le rôle. C'est ainsi que, passant en revue toutes les erreurs qu'anathématise la foi catholique, nous trouvons dans les unes et les autres quelque chose qui puisse être mise à part des erreurs condamnées. Mais, dans l'épouvantable doctrine des Manichéens, il n'y a absolument rien qu'on puisse juger supportable par quelque côté que ce soit.
6. Pour vous, bien-aimés, à qui je ne puis m'adresser plus convenablement qu'en empruntant les paroles de saint Pierre, "race élue, sacerdoce royal, nation sainte, peuple acquis", vous qui êtes bâtis sur la pierre inébranlable du Christ, greffés sur le Seigneur lui-même notre Sauveur, du fait qu'il a vraiment pris notre chair, demeurez fermes dans cette foi que vous avez professée en présence de nombreux témoins, et en laquelle, régénérés par l'eau et l'Esprit-Saint, vous avez reçu l'onction du salut et le sceau de la vie éternelle. D'ailleurs si quelqu'un vous annonce autre chose que ce que vous avez appris, qu'il soit anathème ! N'allez pas donner à des inventions impies la place qui revient à l'éclatante vérité ; et tout ce qu'il vous arrivera de lire ou d'entendre qui soit contraire à la règle du symbole catholique et apostolique, regardez-le comme absolument mortel et diabolique. Ne vous laissez pas séduire par les artifices trompeurs de jeûnes feints et simulés qui mènent non à la purification, mais à la perte des âmes. Ceux qui les pratiquent prennent certes les dehors de la piété et de la chasteté, mais c'est là une ruse pour voiler l'obscénité de leur conduite ; du secret de leur cœur sacrilège ils lancent des traits qui blesseront les simples ; en eux se réalise la parole du Prophète : "De leurs flèches, ils visent dans l'ombre les cœurs droits".
C'est une puissante sauvegarde qu'une foi intègre, une foi vraie, dans laquelle rien ne peut être ajouté, rien retranché par personne ; car, si la foi n'est pas une, elle n'est pas, selon la parole de l'Apôtre : "Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, par tous et en nous tous". A cette unité, bien-aimés, attachez-vous de tout votre cœur sans vous laisser ébranler ; en elle, recherchez toute sanctification ; en elle, obéissez aux commandements du Seigneur, car "sans la foi il est impossible de plaire à Dieu" et sans elle, rien n'est saint, rien n'est chaste, rien n'est vivant, "car le juste vit de la foi". Celui qui vient à la perdre, trompé par le démon, est mort, quoique vivant, car, si la justice vient par la foi, la vie éternelle aussi s'obtient par la vraie foi, selon la parole de notre Seigneur et Sauveur : "La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et ton envoyé, Jésus-Christ". Qu'il vous fasse avancer et persévérer jusqu'à la fin, lui qui vit et règne avec le Père et l'Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Amen.