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Dixième sermon en la Nativité du Seigneur.

 [Léon Le Grand, traduction Sources Chrétiennes n°22]

1. La nativité par laquelle, bien-aimés, notre Seigneur Jésus-Christ s'est revêtu de notre chair est, en vérité, ineffable. J'ose cependant non pas compter sur mes propres dons, mais présumer qu'il voudra bien m'inspirer lui-même pour que, en ce jour qui fut choisi pour le mystère de la restauration des hommes, sortent de notre bouche des paroles qui puissent édifier ceux qui m'écoutent. Le fait que la majeure partie de l'Eglise de Dieu comprend ce qu'elle croit n'est pas une raison, en effet, pour ne pas juger nécessaire de redire encore ce qui a déjà été dît. Car nous devons aujourd'hui le ministère de notre parole aux fidèles nombreux qui ne font qu'arriver à la foi et il vaut mieux être à charge aux doctes en disant des choses qu'ils savent que de priver les ignorants de ce qu'ils doivent apprendre.

Que le Fils de Dieu, dont l'essence, mais non pas la personne, est la même que celle du Père et de l'Esprit-Saint, ait donc daigné partager notre humble condition et qu'il ait voulu être l'un des hommes sujets à la souffrance, l'un des hommes sujets à la mort, voilà qui est si mystérieux et si extraordinaire que les sages de ce monde n'auraient pu découvrir la raison au décret divin, si la vraie lumière n'était venue dissiper les ténèbres de l'ignorance humaine. Car ce n'est pas dans la seule pratique des vertus, ni dans la seule obéissance aux commandements, mais c'est aussi dans le sentier de la foi qu'étroit et raide est le chemin qui mène à la vie ; et c'est moyennant un grand travail et au prix d'un grand péril que, au milieu des opinions douteuses et des mensonges spécieux d'hommes sans expérience, on peut marcher sans trébucher par l'unique chemin de la saine doctrine, et échapper à tout danger d'illusion, alors que de tous cotés sont tendus les filets de l'erreur. Qui donc en sera capable, sinon celui qui se laisse instruire et conduire par l'Esprit de Dieu ? C'est bien ce que dit l'Apôtre : "Or nous n'avons pas reçu, nous, l'esprit du monde, mais l'Esprit qui vient de Dieu, afin de connaître les dons que Dieu nous a faits". Et David chante aussi : "Heureux l'homme que tu instruis, Seigneur, et que tu formes par ta loi".

2. Ayant donc, bien-aimés, au milieu des dangers que fait courir l'erreur, la sauvegarde des armes de la vérité, et étant instruits non par les paroles d'une sagesse humaine, mais par la doctrine de l'Esprit-Saint, c'est ce que nous avons appris que nous croyons, et ce que nous avons cru que nous prêchons, à savoir que le Fils de Dieu, engendré par le Père avant les siècles et coéternel au Père dans une égalité sans terme et consubstantielle, est venu en ce monde par le sein d'une vierge, choisie pour ce mystère de miséricorde ; en elle et par elle, "la Sagesse s'est bâti une maison", et la Divinité immuable du Verbe a pris pour lui la condition de l'esclave, dans une chair semblable à celle du péché. I1 n'est pour autant inférieur en rien à la gloire qu'il a en lui-même et auprès du Père et de l'Esprit-Saint, car la nature de la souveraine et éternelle essence n'admet ni diminution ni changement. Mais c'est à cause de notre faiblesse qu'il s'est diminué lui-même pour ceux qui ne pouvaient le saisir et qu'il a couvert du voile d'un corps la splendeur de sa majesté que le regard de l'homme ne pouvait soutenir. C'est pourquoi il est aussi dit qu'il s'est anéanti, comme s'il s'était vidé de sa propre puissance, lorsque, dans cet abaissement par lequel il nous est venu en aide, il s'est mis au-dessous non seulement de son Père, mais encore de lui-même. Mais rien n'est venu à lui manquer quand il s'est ainsi penché jusqu'à nous, à lui qui a en commun avec le Père et l'Esprit-Saint d'être ce qu'il est ; ainsi comprenons-nous qu'il relève de sa toute-puissance que celui qui est inférieur selon notre condition n'est pas inférieur selon la sienne propre. Si, en effet, la lumière est venue visiter les aveugles, la force les faibles, la miséricorde les misérables, ce fut là le fait d'une grande puissance, car le Fils de Dieu a assumé la substance humaine et a pris notre cause en main afin de rétablir notre nature qu'il avait créée et de détruire la mort qu'il n'avait pas faite.

3. Chassons donc et rejetons bien loin toutes les opinions des impies pour qui le Christ serait soit une folie, soit un scandale ; que les âmes droites se réjouissent dans leur foi et qu'elles comprennent le vrai et unique Fils de Dieu, non seulement selon la divinité dans laquelle il a été engendré par le Père, mais aussi selon l'humanité dans laquelle il est né d'une mère vierge. C'est le même qui est dans notre abaissement et qui est dans la majesté divine, vrai homme et vrai Dieu, éternel dans sa condition, soumis au temps dans la nôtre, un avec son Père dans une substance qui jamais ne fut inférieure au Père, un avec sa mère dans un corps qu'il a créé. En assumant notre nature, en effet, il s'est fait pour nous le degré par lequel nous puissions monter à lui par lui, car cette essence divine qui toujours est tout entière partout, n'a pas eu besoin de descendre localement, et il lui appartient aussi bien de s'unir tout entière à un homme que de rester tout entière sans être séparée du Père. Il demeure donc ce qu'il était au commencement, le Verbe, et ce n'est pas à lui qu'arrive de n'avoir pas, une fois, été ce qu'il est.

Eternellement, en effet, le Fils est Fils et, éternellement, le Père est Père. Aussi, puisque le Fils lui-même déclare : "Qui me voit voit aussi le Père", c'est ton impiété qui t'a aveuglé, ô hérétique, en sorte que tu ne vois pas la gloire du Père, parce que tu n'as pas vu la majesté du Fils en prétendant qu'a été engendré celui qui n'était pas, tu affirmes que le Fils est soumis au temps ; et, en affirmant le Fils soumis au temps, tu crois le Père sujet au changement. Est sujet au changement, en effet, non seulement ce qui diminue, mais aussi tout ce qui augmente ; or, si l'Engendré n'est pas égal au Père, puisque, à ce qu'il te semble, en l'engendrant, celui-ci a engendré quelqu'un qui n'était pas, l'essence de celui qui engendrait était également imparfaite, elle qui, pour avoir ce qu'elle n'avait pas, a engendré et a ainsi grandi. Mais une telle erreur impie, ton erreur, la foi catholique la maudit et la condamne, elle qui ne reconnaît dans la vraie divinité rien de soumis au temps, mais confesse une seule éternité pour le Père et le Fils ; l'éclat qu'engendre la lumière n'est pas, en effet, postérieur à la lumière, et la vraie lumière n'est jamais privée de son éclat, ayant toujours pour qualité essentielle de briller, comme elle a toujours pour qualité essentielle d'exister.

Or la manifestation de cet éclat est appelée mission, et c'est par elle que le Christ est apparu au monde. Sans doute remplissait-il toujours tout de son invisible majesté, mais, comme sortant d'une retraite très cachée et très profonde, il est venu vers ceux qui ne le connaissaient pas, lorsqu'il a fait disparaître la cécité de leur ignorance, et que, selon qu'il est écrit, "la lumière s'est levée sur ceux qui étaient assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort".

4. Au cours des siècles passés, en effet, la lumière de la vérité avait certes été envoyée pour éclairer les saints pères et les prophètes, comme le dit David : "Envoie ta lumière et ta vérité", et la divinité du Fils avait, de diverses manières et par de nombreux signes, manifesté sa présence par des œuvres ; pourtant tous ces signes et tous ces prodiges furent des gages de cette mission dont parle ainsi l'Apôtre : "Quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d'une femme, né sujet de la loi". Qu'est-ce à dire, sinon que le Verbe s'est fait chair, que le Créateur du monde est né en passant par le sein d'une vierge, que le Seigneur de majesté s'est conformé au mode de naître des hommes, et que, sans que la souillure attachée à toute semence terrestre ne se soit aucunement mêlée à cette conception spirituelle, il a cependant pris de sa mère la nature humaine et elle seule afin de se revêtir de la substance d'une véritable chair ?

Dans cette mission, où Dieu s'est uni à l'homme, le Fils est inégal au Père, non en ce qu'il naît du Père, mais en ce qu'il a été fait d'un être humain. L'égalité, en effet, que la divinité possède inviolablement, n'est pas altérée par le fait qu'il est homme, et la descente du Créateur vers la créature est une élévation de ceux qui croient vers les biens éternels. Car, ainsi que le dit l'Apôtre, "puisque le monde, par le moyen de la sagesse n'a point reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu, c'est par la folie du message qu'il a plu à Dieu de sauver ceux qui croient". Pour le monde, c'est-à-dire pour ceux qui sont prudents selon ce monde, sa sagesse s'est donc tournée en aveuglement, et ceux-ci n'ont pu connaître Dieu par elle, car on ne peut arriver à le connaître qu'en sa sagesse à lui. Aussi, parce que le monde s'enorgueillissait de ses vaines maximes, le Seigneur a établi la foi de ceux qu'il voulait sauver sur une chose en apparence indigne et insensée, afin que, dans la faillite générale des opinions présomptueuses, seule la grâce de Dieu révélât ce que l'intelligence humaine ne pouvait saisir.

5. Que la foi catholique reconnaisse donc sa noblesse dans l'humilité du Seigneur et que l'Eglise, corps du Christ, trouve sa joie dans les mystères de son salut : si le Verbe de Dieu, en effet, ne s'était fait chair et n'avait habité parmi nous, si le Créateur en personne n'était descendu vers la créature pour s'unir à elle, ramenant, par sa naissance, l'humanité vieillie à un nouveau commencement, la mort régnerait depuis Adam jusqu'à la fin, et sur tous les hommes pèserait une condamnation sans appel, le seul fait de naître étant pour tous la cause commune de leur perte. C'est pourquoi, seul parmi tous les enfants des hommes, le Seigneur Jésus est né innocent, ayant seul été conçu saris la souillure de la concupiscence charnelle. Il s'est fait homme de notre race pour que nous puissions être participants de la nature divine. La source de vie qu'il a prise dans le sein de la Vierge, il l'a placée dans les fonts du baptême ; il a donné à l'eau ce qu'il avait donné à sa mère : car la puissance du Très-Haut et l'obombration de l'Esprit-Saint, qui ont fait que Marie mit au monde un Sauveur, font aussi que l'eau régénère le croyant. Mais, pour guérir les malades, pour rendre la vue aux aveugles, pour ressusciter les morts, qu'y avait-il de plus convenable que de soigner les blessures de l'orgueil par les remèdes de l'humilité ? Adam, ne tenant pas compte des commandements de Dieu, encourut la condamnation de son péché ; Jésus, né sujet de la loi, restitua la liberté dans la justice. Celui-là, en écoutant le diable jusqu'à commettre la faute, mérita que tous meurent en lui ; celui-ci, en obéissant au Père jusqu'à la mort de la croix, fit que tous trouvent la vie en lui. Celui-là, avide de l'honneur propre aux anges, perdit la dignité propre à sa nature ; celui-ci, en prenant notre condition et sa faiblesse, plaça au ciel ceux-là mêmes pour qui il descendit aux enfers. Enfin à celui-là, tombé pour s'être élevé, il fut dit : "Tu es terre et tu retourneras à la terre" ; et à celui-ci, exalté pour s'être abaissé : "Siège à ma droite, jusqu'à ce que je te fasse un marchepied de tes ennemis".

6. Ces actes de notre Seigneur, bien-aimés, nous sont utiles non seulement dans leur mystère sacré, mais encore dans l'exemple qu'ils proposent à notre imitation ; à condition que ces remèdes passent pour nous en norme de vie et que ce qui a été réalisé dans les mystères serve à régler notre conduite. Souvenons-nous donc que nous avons à vivre dans l'humilité et la douceur de notre Rédempteur, car, selon la parole de l'Apôtre : "Si nous souffrons avec lui, nous régnerons aussi avec lui". Ce serait, en effet, en vain que nous porterions le nom de chrétiens si nous n'étions pas les imitateurs du Christ, lui qui s'est appelé la voie afin que la conduite du maître soit un modèle pour ses disciples et que le serviteur choisisse l'humilité qu'a pratiquée le Seigneur, lui qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen.