Origines.
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Dixième sermon en la Nativité du Seigneur.
[Léon Le Grand, traduction Sources Chrétiennes n°22]
1. - C'est tous les jours, bien-aimés, et à tout moment que se présente à l'esprit des âmes fidèles occupées à méditer les choses de Dieu, la pensée de la venue de notre Seigneur et Sauveur né d'une mère vierge ; l'âme en est excitée à louer son Créateur, et, que ce soit au milieu des pleurs de la supplication, au milieu des exultations de la louange, ou dans l'oblation du sacrifice, il n'est rien sur quoi elle fixe plus fréquemment et avec plus de foi son regard spirituel que cette vérité que Dieu, Fils de Dieu, engendré par un Père qui lui est coéternel, est aussi né d'un enfantement humain. Mais cette naissance, qui doit être adorée au ciel et sur la terre, aucun jour plus que celui-ci ne nous l'enseigne et ne frappe directement nos sens de l'éclat de cet admirable mystère, du fait qu'une lumière nouvelle brille dans les éléments eux-mêmes. Car ce n'est pas seulement notre mémoire, mais en quelque sorte aussi nos yeux qui contemplent l'entretien de l'ange Gabriel avec Marie étonnée, et la conception par l'opération de l'Esprit-Saint, aussi admirable dans sa promesse que dans la foi qui l'accueille. Aujourd'hui, en effet, l'Auteur du monde est né d'un sein virginal et celui qui a fait toutes les natures est devenu le fils de celle qu'il a créée. Aujourd'hui le Verbe de Dieu s'est montré revêtu de chair et ce que jamais des yeux humains ne purent voir, désormais même des mains humaines purent le toucher. Aujourd'hui des bergers ont appris par les paroles des anges qu'un Sauveur était né dans la substance de notre corps et de notre âme, et aujourd'hui ceux qui sont préposés aux troupeaux du Seigneur se voient confier un nouveau motif de louange, invités que nous sommes nous aussi à dire avec l'armée céleste : "Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté".
2. - Sans doute cet état d'enfance que le Fils de Dieu n'a pas jugé indigne de sa majesté, s'est transformé avec l'âge en l'état d'homme parfait, et, une fois consommé le triomphe de sa Passion et de sa résurrection, tous les actes ont pris fin, qui relevaient de son abaissement accepté pour nous : cependant la fête d'aujourd'hui renouvelle pour nous les débuts sacrés de Jésus, nouveau-né de la Vierge Marie, et, en adorant la naissance de notre Sauveur, nous nous trouvons célébrer en même temps nos propres origines. La conception génératrice du Christ, en effet, est le commencement du peuple chrétien, et l'anniversaire de la tête est l'anniversaire du corps. Bien que chacun soit appelé à son tour et qu tous les fils de l'Eglise se différencient dans la succession des temps, cependant, comme la totalité des fidèles née de la fontaine baptismale a été crucifiée avec le Christ dans sa Passion, est ressuscitée dans sa résurrection, a été placée à la droite au Père dans son ascension, ainsi est-elle née également avec lui dans cette nativité. Tout croyant, en effet, qui, en quelque contrée du monde que ce soit, est régénéré dans le Christ, rompant avec les errements de sa vétusté originelle, se change, en renaissant, en un homme nouveau ; désormais il ne compte plus dans la descendance de son père selon la chair, mais dans la race de son Sauveur qui s'est fait fils de l'homme pour que nous puissions être fils de Dieu. Car, si celui-là n'était descendu jusqu'à nous par cet abaissement, jamais personne ne parviendrait à lui par ses propres mérites.
Que la sagesse de la terre ne vienne en aucune manière obscurcir ici les cœurs des élus, ni que la poussière des opinions terrestres, destinée à retomber bientôt au fond des abîmes, ne se dresse contre la sublimité de la grâce de Dieu. A la fin des siècles s'est accompli ce qui avait été fixé avant l'éternité ; et, par la présence des réalités, signes et figures prenant fin, loi et prophétie sont devenues vérité ainsi Abraham devient le père de toutes les nations et, dans sa descendance, c'est au monde qu'est accordée la bénédiction promise ; les Israélites ne sont plus ceux-là seuls que le sang et la chair ont engendrés, mais les enfants de l'adoption, dans leur ensemble, entrent en possession de l'héritage préparé pour les fils selon la foi. Que la calomnie cesse donc de nous assourdir de ses questions absurdes et que le raisonnement humain ne mette pas en jugement l'efficacité de l'œuvre divine ; quant à nous, avec Abraham, nous croyons à Dieu, et nous ne nous laissons pas aller à hésiter par manque de foi, étant pleinement convaincus que ce que le Seigneur a promis, il est assez puissant pour l'accomplir.
3. - Voilà donc que le Seigneur naît, bien-aimés, non d'une semence charnelle, mais de l'Esprit-Saint, et étranger à la condamnation résultant du premier péché. Aussi la grandeur même du don accordé exige de nous un respect digne de sa magnificence. C'est dans ce but, en effet, que, selon la doctrine du saint Apôtre, "nous avons reçu non l'esprit du monde, mais l'Esprit qui vient de Dieu, afin de connaître les dons que Dieu nous a faits". La seule façon de lui présenter un religieux hommage est de lui offrir ce que lui-même nous a donné. Or, dans le trésor des libéralités divines, que pouvons-nous trouver qui soit aussi propre à honorer la fête d'aujourd'hui, que cette paix qui, dès la naissance du Seigneur, a été annoncée par le concert des anges ? Car c'est elle, nourrice de l'amour et mère de l'unité, qui engendre des fils de Dieu ; elle est le repos des saints et le séjour de l'éternité ; son œuvre propre et son bienfait particulier est d'unir à Dieu ceux qu'elle sépare du monde. Aussi l'Apôtre nous invite-t-il à rechercher un tel bien, en disant : "Ayant donc reçu notre justification de la foi, soyons en paix avec Dieu" ; maxime qui, dans sa brièveté, résume les effets de presque tous les commandements : là, en effet, où se trouve la véritable paix, aucune vertu ne peut faire défaut. Or, bien-aimés, qu'est-ce avoir la paix avec Dieu, sinon vouloir ce qu'il ordonne et ne pas vouloir ce qu'il défend ? Si, en effet, les amitiés humaines réclament des sentiments identiques et des vouloirs semblables, et si la disparité des mœurs ne peut jamais conduire à une solide concorde, comment aura-t-il part à la paix divine, celui à qui plait ce qui déplaît à Dieu, et qui désire trouver son plaisir en des choses par lesquelles il sait que Dieu est offensé ? Telle n'est pas la disposition des enfants de Dieu, et la noblesse reçue avec leur adoption ne s'accommode pas d'une telle sagesse. Que la race élue et royale réponde à la dignité de sa nouvelle naissance, qu'elle aime ce qu'aime son père et n'ait en rien des sentiments différents de ceux de son Créateur, de peur que le Seigneur n'ait à dire de nouveau : "J'ai engendré et fait grandir des fils, mais ils m'ont méprisé. Le bœuf reconnaît son bouvier et l'âne la crèche de son maître ; mais Israël ne m'a pas connu et mon peuple ne m'a pas compris".
4. - Grand est le mystère contenu en ce bienfait, bien-aimés, et ce don dépasse tous les dons, à savoir que Dieu donne à l'homme le nom de fils, et que l'homme nomme Dieu son père. Ces titres, en effet, font comprendre et connaître ce qu'est Celui qui s'élève à une telle hauteur d'amour. Car Si, dans les parentés charnelles et dans les familles de la terre, les tares de l'inconduite jettent le discrédit sur les descendants d'une illustre lignée, si l'éclat même des ancêtres est un motif de confusion pour une postérité indigne, quelle sera la fin de ceux qui, pour l'amour du monde, ne craignent pas de renoncer à leur naissance dans le Christ ? Si, par contre, c'est pour les hommes un motif de louange que de voir briller dans leurs enfants la gloire des ancêtres, combien sera-t-il plus glorieux pour ceux qui sont nés de Dieu de resplendir en reflétant l'image de leur Créateur et de faire paraître en eux celui qui les a engendrés, selon la parole du Seigneur : "Qu'ainsi votre lumière brille aux yeux des hommes pour qu'ils voient vos bonnes œuvres et en rendent gloire à votre Père qui est dans les cieux".
Nous le savons bien, et c'est l'Apôtre Jean qui le dit, "le monde entier est au pouvoir du Mauvais" ; le diable et ses anges dressent leurs pièges et s'appliquent à tenter d'innombrables façons l'homme qui tend vers les sommets, que ce soit en l'effrayant dans l'adversité ou en le corrompant dans la prospérité ; mais celui qui est en nous est plus grand que celui qui est contre nous ; ceux qui sont en paix avec Dieu et qui continuellement disent de tout leur cœur à leur Père : "Que ta volonté soit faite", nul combat ne pourra les vaincre, nul assaut ne pourra leur nuire. Car, en nous accusant nous-mêmes par nos aveux et en refusant notre consentement aux convoitises de la chair, nous provoquerons certes contre nous l'inimitié de l'auteur du péché, mais nous affermirons en nous une paix inexpugnable avec Dieu en secondant sa grâce ; non seulement nous serons soumis à notre Roi par l'obéissance, mais encore nous ne ferons qu'un avec son jugement. Si, en effet, nous faisons nôtre sa pensée, si nous voulons ce qu'il veut et réprouvons ce qu'il réprouve, lui-même désormais mènera tous nos combats pour nous ; lui-même qui a donné de vouloir, donnera aussi de pouvoir ; nous serons alors ses collaborateurs et, avec la joie de la foi, pourrons dire cette parole du Prophète : "Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qui craindrai-je ? Le Seigneur est le rempart de ma vie, devant qui tremblerai-je".
5. - Que ceux donc "qui ne sont nés ni du sang ni du vouloir de la chair, ni du vouloir de l'homme, mais de Dieu", offrent au Père la concorde propre à des fils animés du désir de la paix, et que tous les membres de la famille d'adoption se retrouvent dans le Premier-né de la nouvelle création, lui qui n'est pas venu faire sa volonté, mais la volonté de celui qui l'a envoyé. Car ceux que la grâce du Père a adoptés pour ses héritiers, ce ne sont pas des êtres pleins de discorde et de dissemblance, mais ce sont ceux qui pensent la même chose et qui aiment la même chose. Ceux qui ont été réformés selon un modèle unique doivent avoir une âme conforme entre eux tous. La naissance du Seigneur est la naissance de la paix. L'Apôtre dit, en effet : "C'est lui qui est notre paix, lui qui des deux n'a fait qu'un peuple" ; que l'on soit Juif ou que l'on soit païen, c'est par lui qu'on a accès au Père en un seul Esprit ; par lui qui, avant le jour librement choisi pour sa Passion, instruisit particulièrement ses disciples de cette doctrine, et leur dit : "Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix", ajoutant : "Je ne vous la donne pas comme le monde la donne", de peur que, sous un terme trop général, n'apparût pas ce qu'il entendait par "sa" paix. Le monde, dit-il, a ses amitiés et il en fait s'accorder beaucoup par un amour dépravé. Il y a aussi des âmes qui se rejoignent, mais dans le vice, et la similitude des désirs engendre l'identité des affections. Si d'aventure il se rencontre des hommes à qui déplaisent le mal et l'inconduite, qui excluent tout consentement à des choses coupables du pacte que noue entre eux leur affection, ceux-là pourtant, s'ils sont Juifs, hérétiques ou païens, ne relèvent pas de l'amitié de Dieu, mais de la paix du monde. La paix des hommes spirituels et catholiques, paix descendue du ciel et conduisant au ciel, ne nous permet aucune communion avec les amis du monde, mais nous oblige à faire front contre tous les obstacles et à nous libérer des voluptés pernicieuses pour prendre notre envol vers les vraies joies. C'est le Seigneur qui le dit : "Là où sera ton trésor, là aussi sera ton cœur" ; autrement dit, si les choses que tu aimes sont en bas, tu descendras dans les plus profonds abîmes ; si les choses que tu chéris sont en haut, tu atteindras jusqu'aux plus hautes cimes. Que l'Esprit de paix nous mène et conduise, nous tous, ne voulant qu'une même chose, ne pensant qu'une même chose et ayant un même cœur dans la foi, l'espérance et la charité. Car, "tous ceux qui sont mus par l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu" ; Lui qui règne avec le Fils et l'Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Amen.