Origines.
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Septième sermon en la Nativité du Seigneur.
[Léon Le Grand, traduction Sources Chrétiennes n°22]
1. Celui, bien-aimés, qui accorde à la fête d'aujourd'hui une vénération conforme à la vérité et un honneur répondant à la piété, c'est celui qui n'a aucune pensée erronée en ce qui concerne l'incarnation du Seigneur, aucune pensée indigne en ce qui concerne sa divinité ; le mal et le danger, en effet, sont égaux à nier en lui ou la vérité de notre nature, ou l'égalité de gloire avec son Père. Lors donc que nous entreprenons de comprendre le mystère de la nativité du Christ, dans laquelle il est né d'une mère vierge, que se tiennent loin de nous les nuages obscurs des raisons de cette terre et que les fumées de la sagesse de ce monde restent à distance des yeux illuminés de notre foi ; car divine est l'autorité en laquelle nous croyons, divine est la doctrine que nous suivons.
Que nous prêtions l'oreille de notre cœur au témoignage de la Loi, aux oracles des prophètes ou à l'annonce de l'Evangile, cette parole est vraie que fit retentit saint Jean rempli de l'Esprit-Saint : "Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Tout a été fait par lui et sans lui rien n'a été fait". Pareillement vrai est ce qu'ajoute le même héraut : "Le Verbe s'est fait chair et il a demeuré parmi nous, et nous avons vu sa gloire, gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique".
Il est donc le même Fils de Dieu dans l'une et l'autre nature, assumant ce qui nous appartient et ne se dessaisissant pas de ce qui lui est propre, renouvelant l'homme dans l'homme assumé, tout en demeurant en lui-même immuablement. La divinité qui lui est commune avec le Père n'a, en effet, subi aucun dommage de sa toute-puissance, et la condition divine n'a pas fait violence à la condition humaine, car l'Essence souveraine et éternelle, en s'abaissant vers l'humanité pour la sauver, nous a vraiment élevés dans sa gloire, mais n'a pas cessé d'être ce qu'elle était. Aussi lorsque le Fils unique de Dieu se reconnaît inférieur au Père, auquel il se dit aussi égal, il manifeste la vérité de l'une et l'autre condition en lui : l'inégalité démontre la nature humaine et l'égalité affirme la nature divine.
2. La naissance dans la chair n'a donc rien ôté ni rien ajouté à la majesté du Fils de Dieu, car l'immuable Essence ne pouvait être ni diminuée ni augmentée. "Le Verbe s'est fait chair", ne signifie pas que la nature de Dieu se soit changée en chair mais bien que la chair a été prise par le Verbe pour être assumée dans l'unité de la personne ; et, par ce mot de chair, il faut comprendre tout l'homme auquel le Fils de Dieu s'est uni dans le sein de la Vierge, après que celle-ci eut été fécondée par le Saint-Esprit sans être néanmoins jamais privée de sa virginité; il s'est uni à l'homme Si étroitement que lui, qui avait été engendré de l'essence du Père en dehors du temps, est né aussi dans le temps du sein de la Vierge. Nous n'aurions pu, en effet, être délivrés des liens de la mort éternelle si ne s'était fait humble dans notre condition, celui qui demeurait tout-puissant dans la sienne.
Aussi notre Seigneur Jésus-Christ, en naissant vraiment homme, sans cesser jamais d'être vraiment Dieu, a réalisé en lui les débuts d'une nouvelle créature, et, dans le mode de sa naissance, a donné à l'humanité un principe spirituel ; afin que soit abolie la contamination liée à la génération charnelle, il a donné à ceux qu'il fallait régénérer une origine qui n'avait rien à voir avec la semence porteuse de faute, à eux dont il est dit que "ni sang ni vouloir de la chair, ni vouloir d'homme, mais Dieu les a engendrés". Quelle intelligence pourrait comprendre un tel mystère, quelle langue raconter une telle grâce ? L'injustice redevient innocence, et la vieillesse nouveauté ; les étrangers ont part à l'adoption et des gens venus d'ailleurs entrent en possession de l'héritage. A dater de ce moment, des impies deviennent des justes ; des avares, des bienfaisants ; des débauchés, des hommes chastes ; des hommes terrestres, des hommes célestes.
D'où vient un tel changement, sinon de la droite du Très-Haut ? C'est que le Fils de Dieu est venu détruire les œuvres du diable ; il s'est incorporé à nous et nous a incorporés à lui de telle sorte que la descente de Dieu vers le monde des hommes fût une élévation de l'homme vers le monde de Dieu.
3. Mais dans cette miséricorde de Dieu, bien-aimés, dont nous ne pouvons dire la grandeur selon laquelle elle s'est déployée pour nous, les chrétiens doivent prendre très soigneusement garde de ne pas se laisser reprendre aux pièges du diable et envelopper à nouveau dans les erreurs auxquelles ils ont renoncé. L'ancien ennemi, en effet, se transfigurant en ange de lumière, ne cesse de tendre partout les rets de ses tromperies et de travailler sans relâche à corrompre de toute manière la foi des croyants. Il sait à qui appliquer le feu de la convoitise, à qui proposer les appâts de la gloutonnerie, à qui offrir l'excitation de la luxure, à qui verser le poison de l'envie ; il sait qui troubler par la tristesse, qui tromper par la joie, qui abattre par la crainte, qui séduire par la flatterie; de tous, il examine les habitudes, met à nu les soucis, scrute les affections, et il cherche des occasions de nuire dans les choses dont il voit quelqu'un plus étroitement occupé.
Parmi ceux qu'il s'est attachés plus intimement, il en a beaucoup qui sont habiles dans ses artifices et dont il se sert pour en tromper d'autres par leurs inventions et leurs paroles. Ceux-là promettent la guérison des maladies, la lumière sur l'avenir, la faveur des démons, l'expulsion des revenants. Il s'y ajoute ceux qui affirment mensongèrement que toute la vie humaine dépend de l'influence des étoiles et qui attribuent à une inévitable fatalité ce qui est le fait de la volonté de Dieu ou de la nôtre. Pour mettre le comble à leur malfaisance, ils promettent que les circonstances peuvent être modifiées moyennant des supplications aux astres adverses. D'où il suit d'ailleurs que ce mensonge impie se trouve détruit par sa raison même, car, si ce qui a été prédit n'est pas immuable, on ne doit pas craindre la fatalité; Si c'est immuable, on ne doit pas vénérer les astres.
4. De tels principes naît encore une autre impiété lorsque le soleil se lève aux premières lueurs du jour, certains sont assez insensés pour l'adorer du sommet de lieux plus élevés ; il est même des chrétiens qui estiment agir religieusement en suivant cette pratique, tellement que, avant d'entrer dans la basilique du bienheureux apôtre Pierre, dédiée au seul Dieu vivant et vrai, et après avoir gravi les marches par lesquelles on accède au parvis supérieur, ils se retournent vers le soleil levant, et, courbant la tête, s'inclinent en l'honneur du disque radieux.
Cette manière d'agir, issue en partie de l'ignorance et en partie de l'esprit païen, nous chagrine et nous afflige beaucoup. Même s'il s'en trouve, en effet, certains qui vénèrent le Créateur de cette belle lumière plus que la lumière elle-même, qui est une créature, il faut pourtant s'abstenir de l'apparence même d'un tel hommage; car si quelqu'un revenu du culte des dieux rencontre cette pratique chez nous, ne va-t-il pas retourner à cette partie de ses anciennes croyances, l'estimant en lui-même probable puisqu'il la verra commune aux chrétiens et aux impies?
5. Que les fidèles rejettent donc de leurs habitudes cette damnable perversité et se gardent de mêler l'honneur dû à Dieu seul aux rites d'hommes qui sont esclaves des créatures. La sainte Ecriture déclare en effet : "C'est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, c'est lui seul que tu serviras". Et le bienheureux Job, cet homme sans reproche, au témoignage du Seigneur, et qui se gardait de tout mal : "A la vue du soleil dans son éclat, dit-il, de la lune radieuse dans sa course, mon cœur, en secret, s'est-il laissé séduire, pour leur envoyer de la main un baiser ? Ce serait la pire des iniquités et renier le Dieu très-haut". Qu'est-ce donc que le soleil, ou qu'est-ce que la lune, sinon des éléments de la création visible et de la lumière corporelle, l'un doué d'une plus grande clarté, et l'autre d'une moindre lumière ? De même que sont différents les temps assignés au jour et ceux assignés à la nuit, ainsi sont diverses les propriétés dont le Créateur a doté les luminaires célestes, encore qu'avant leur création, il y eût déjà des jours sans le secours du soleil et des nuits sans l'aide de la lune.
Mais c'était pour l'utilité de l'homme à venir qu'ils étaient créés, c'était pour permettre à l'animal raisonnable de ne se tromper ni dans la distinction des mois, ni dans le retour des années, ni dans la mesure des saisons ; car, en passant par la durée variable d'heures inégales et par les signes incontestables des différents levers de ces astres, d'un côté le soleil pourrait marquer le terme de chaque année et la lune, de l'autre, le renouvellement des mois. Nous lisons, en effet, que Dieu dit, le quatrième jour : "Qu'il y ait des luminaires au firmament du ciel, et qu'ils éclairent la terre et séparent le jour de la nuit ; qu'ils servent de signes pour les temps, les jours et les années ; qu'ils soient au firmament du ciel pour éclairer la terre".
6. Réveille-toi donc, ô homme, et reconnais la dignité de ta nature ! Souviens-toi que tu as été créé à l'image de Dieu, image qui, bien que corrompue en Adam, a été restaurée dans le Christ ! Use comme il faut en user des créatures visibles, de même que tu uses de la terre, de la mer, du ciel, de l'air, des sources et des fleuves, et tout ce qui s'y trouve de beau et d'admirable, rapporte-le à la louange et à la gloire du Créateur. Ne vas pas te vouer à cet astre lumineux qui fait la joie des oiseaux et des serpents, des bêtes sauvages et des animaux domestiques, des mouches et des vers. Que tes sens se laissent toucher par la lumière sensible et, de toute l'application de ton esprit, embrasse cette vraie lumière "qui éclaire tout homme venant en ce monde" et dont le Prophète dit : "Approchez-vous d'elle et vous serez illuminés, et il n'y aura point de honte sur vos visages". Si, en effet, nous sommes le temple de Dieu, et si l'Esprit de Dieu habite en nous, ce que chaque fidèle porte en son âme a plus de valeur que ce que l'on admire au ciel.
Aussi bien, si nous vous intimons ces ordres ou vous donnons ces conseils, bien-aimés, ce n'est pas pour vous faire mépriser les œuvres de Dieu, ou pour que vous pensiez que, dans les choses que le Dieu bon a créées bonnes, il puisse y avoir quelque chose de contraire à votre foi; mais c'est pour que vous usiez avec mesure et selon la raison de toute la beauté des créatures et de toute la parure de ce monde, "car, ainsi que le dit l'Apôtre, les choses visibles n'ont qu'un temps, les invisibles sont éternelles". Nous sommes nés pour la vie présente, mais nous sommes re-nés pour la vie future; ne nous vouons donc pas aux biens qui n'ont qu'un temps, mais appliquons-nous aux éternels; et, afin de pouvoir contempler de plus près l'objet de notre espérance, considérons, dans le mystère même de la nativité du Seigneur, ce que la grâce divine y a conféré à notre nature. Ecoutons l'Apôtre nous dire : "Vous êtes morts, et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu ; quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, alors vous aussi vous serez manifestés avec lui dans la gloire", lui qui vit et règne avec le Père et l'Esprit-Saint, dans les siècles des siècles. Amen.