Origines.

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Dixième sermon en la Nativité du Seigneur.

 [Léon Le Grand, traduction Sources Chrétiennes n°22]

1. Toutes les paroles divines, Bien-aimés, nous exhortent à nous réjouir sans cesse dans le Seigneur ; aujourd'hui cependant, avec le mystère de sa nativité qui brille pour nous d'un plus vif éclat, nous voilà indubitablement et abondamment incités à la joie spirituelle ; car si nous nous tournons vers cet ineffable abaissement de la divine miséricorde, par lequel le Créateur des hommes a daigné se faire homme, nous nous découvrons être dans la nature de celui-là même que nous adorons dans la nature de celui-là même que nous adorons dans la nôtre. Dieu, en effet, Fils de Dieu, unique engendré du Père éternel et inengendré, demeurant éternellement dans la condition divine, ayant sans changement possible et sans que le temps n'y puisse rien, de n'être pas autre chose que ce qu'est le Père, a pris la condition d'esclave sans aucune atteinte à sa majesté, nous élevant dans son domaine sans déchoir dans le nôtre. De là vient qu'a été réalisée une si parfaite unité entre les deux natures, chacune demeurant en ses propriétés, que rien de ce qui y est de Dieu n'y a été séparé de l'humanité, et que rien de ce qui y est de l'homme n'y a été tenu à part de la divinité.

2. En célébrant l'anniversaire de la naissance de notre Seigneur et Sauveur, bien-aimés, ayons une idée parfaitement juste de l'enfantement de la Sainte Vierge ; croyons donc que la puissance du Verbe n'a été à aucun moment absente de la chair et de l'âme qui étaient conçues, et que le temple du corps du Christ n'a pas été formé ni animé avant que lui-même ne survînt pour en revendiquer la possession et l'habiter ; non, c'est par lui et en lui que ce nouvel homme a reçu son commencement ; ainsi, dans l'unique Fils de Dieu et de l'homme, se trouvaient la divinité sans que sa mère y ait eu part, et l'humanité sans qu'un père s'en soit mêlé. En effet, la vierge fécondée par l'Esprit-Saint mit au monde, sans trace de corruption, en même temps un fils de sa lignée et l'auteur de sa race. C'est pourquoi le même Seigneur demandant aux Juifs, comme le rapporte l'évangéliste, de qui, au témoignage de l'Ecriture, ils avaient appris que le Christ serait fils, ils lui répondirent qu'il devait naître de la race de David. Comment donc, repartit-il, David parlant sous l'inspiration l'appelle-t-il son Seigneur dans ce texte : "Le Seigneur a dit à mon Seigneur siège à ma droite jusqu'à ce que j'aie fait de tes ennemis l'escabeau de tes pieds". Les Juifs ne purent résoudre la difficulté proposée, car ils ne comprenaient pas que, dans l'unique Christ, avaient été prophétisées et la descendance de David et la nature divine.

3. La majesté du Fils de Dieu égal au Père, en se revêtant de l'humilité de l'esclave, n'avait ni à craindre d'être diminuée, ni besoin d'être augmentée ; elle aurait pu parvenir, par la seule puissance de sa divinité, au but même cherché par sa miséricorde, qui était le relèvement de l'humanité, et arracher au joug d'un maître féroce la créature faite à l'image de Dieu. Cependant, comme le diable n'avait pas employé la violence avec le premier homme en le faisant changer de parti sans qu'y consentît son libre arbitre, c'est de la même manière que devaient être détruits le péché volontaire et la volonté mauvaise, en sorte que l'exigence de la justice ne mît pas obstacle à l'octroi du pardon. En face de la ruine générale de tout le genre humain, il n'y avait dans les secrets de la divine sagesse qu'un seul remède pour secourir ceux qui gisaient à terre : c'était que naquît un fils d'Adam étranger à la faute originelle et innocent, pouvant aider les autres et par son exemple et par son mérite. Mais cela, la génération selon le mode naturel ne le permettait pas, et la descendance issue d'une souche viciée ne pouvait exister sans cette semence dont l'Ecriture dit : "Qui pourra rendre pur ce qui a été conçu d'une semence impure ? N'est-ce pas toi, qui es le seul". Le Seigneur de David s'est donc fait fils de David, et, du fruit du germe promis, a levé un rejeton sans défaut ; les deux natures se sont rencontrées en une seule personne ; par la même conception et le même enfantement a été engendré notre Seigneur Jésus-Christ, en qui résident la vraie divinité pour accomplir des œuvres admirables, et la vraie humanité pour subir sa Passion.

4. Que la foi catholique, bien-aimés, méprise donc les aboiements et les erreurs des hérétiques : trompés par la vaine sagesse du monde, ils ont abandonné la vérité de l'Evangile et, incapables de comprendre l'incarnation du Verbe, ils se sont fait une cause d'aveuglement de ce qui devait les éclairer. Si nous passons en revue à peu près toutes les opinions des fauteurs d'erreurs, qui vont jusqu'à nier l'existence du Saint-Esprit, nous n'en trouvons presque aucun qui ne se soit trompé sans avoir abandonné la croyance en la vérité des deux natures associées en l'unique personne du Christ. Les uns, en effet, ont attribué au Seigneur la seule humanité, d'autres la seule divinité. Certains ont dit qu'il y avait bien en lui la divinité, mais que sa chair n'était qu'une apparence. D'autres ont reconnu qu'il avait pris une vraie chair, mais sans avoir la nature de Dieu le Père ; et, attribuant à la divinité ce qui relève de la nature humaine, ils se sont inventé un Dieu plus grand et un Dieu plus petit, alors qu'il ne peut y avoir de degrés dans la vraie divinité car tout ce qui est moins que Dieu n'est pas Dieu. D'autres encore, reconnaissant qu'il n'y a pas de distance du Père au Fils, mais ne pouvant concevoir l'unité de divinité que dans l'unité de personne, ont affirmé que le Père était la même personne que le Fils ; c'est à lui qu'il a appartenu de naître et de se nourrir, de souffrir et de mourir, d'être enseveli et de ressusciter, à lui qui en tout faisait fonction de personne et de l'homme et du Verbe. Certains ont pensé que le Seigneur Jésus-Christ avait un corps formé non de la substance du nôtre, mais d'éléments supérieurs et plus subtils. Il y en eut pour estimer qu'il n'y avait pas d'âme humaine dans la chair du Christ, mais que la divinité du Verbe jouait elle-même le rôle de l'âme. Leur témérité les amena ensuite à dire qu'il y avait bien une âme dans le Seigneur, mais qu'elle manquait d'intelligence, car la divinité à elle seule suffisait pour remplir dans l'homme toutes les fonctions de la raison. Pour finir, ils ont osé prétendre qu'une partie du Verbe avait été changée en chair ; ainsi, dans la variété multiple d'un seul dogme, ce n'est donc pas seulement la nature de la chair et de l'âme qui est abolie, mais encore l'essence du Verbe lui-même.

5. Il y a encore bien d'autres erreurs monstrueuses, par l'énumération desquelles je ne veux pas fatiguer l'attention de votre charité. Mais, laissant de côté les diverses impiétés qu'unit entre elles la parenté dans leurs blasphèmes multiformes, je demande à votre pieuse obéissance de vous garder surtout de deux erreurs : la première a naguère tenté, non sans être châtiée, de se dresser sous l'impulsion de Nestorius, et la seconde, tout aussi condamnable et exécrable, a éclaté à la suite des assertions d'Eutychès. Celui-là, en effet, a osé enseigner que la sainte Vierge Marie était seulement mère d'un homme, en sorte qu'on devrait croire qu'il n'y eut aucune union du Verbe et de la chair dans sa conception et son enfantement ; le Fils de Dieu, en effet, ne se serait pas lui-même fait fils de l'homme, mais aurait seulement daigné s'associer à un homme déjà créé. Cela, les oreilles catholiques n'ont absolument pas pu le supporter ; pénétrées qu'elles sont de la vérité de l'Evangile, elles savent très fermement qu'il n'y a pour l'humanité aucun espoir de salut, si le fils de la Vierge n'est pas en même temps celui qui est le Créateur de sa mère.

L'autre auteur sacrilège d'une plus récente impiété a bien reconnu l'union des deux natures dans le Christ, mais il a dit que l'union même avait eu pour effet de laisser subsister une seule des deux natures, la substance de l'autre cessant totalement d'exister par un anéantissement qui ne pourrait se produire que par destruction ou par séparation. Ces affirmations sont si opposées à une foi saine qu'on ne peut les accueillir sans détruire le nom chrétien. Si, en effet, l'incarnation du Verbe est l'union de la nature divine et de la nature humaine, et si, dans cette rencontre, ce qui était double a été réduit à un seul, c'est donc que seule la divinité est née du sein de la Vierge, qu'elle seule a, sous une apparence feinte, pris de la nourriture et grandi corporellement ; laissant de côté tous les changements liés à la condition humaine, il faudrait dire que seule la divinité a été crucifiée, seule la divinité est morte, seule la divinité a été ensevelie ; pour ceux qui pensent ainsi, il n'y a plus alors de raison d'espérer la résurrection, et le Christ n'est plus "le premier-né d'entre les morts" ; si, en effet, il n'y avait pas d'homme qui dût être tué, il n'y en avait pas non plus qui dût être ressuscité.

6. Loin de vos cœurs, bien-aimés, ces mensonges empoisonnés dont le diable est l'inspirateur ! Vous savez que la divinité éternelle du Fils n'a reçu auprès du Père aucun accroissement sachez remarquer que c'est à une seule et même nature qu'il a été dit en Adam : "Tu es terre et tu retourneras à la terre", et qu'il est dit dans le Christ : "Siège à ma droite". Selon la nature en laquelle le Christ est égal au Père, le Fils unique jamais ne fut inférieur à la sublimité du Père, et la gloire qu'il partage avec le Père ne lui est pas donnée seulement pour un temps, à lui qui réside à la droite même du Père, cette droite dont il est dît dans l'Exode : "Ta droite, Seigneur, est glorifiée en force", et dans Isaïe : "Seigneur, qui croira ce que nous entendons dire ? Et le bras du Seigneur, à qui a-t-il été dévoilé ?"

L'homme assumé dans le Fils de Dieu est donc entré en communion avec l'unique personne du Christ dès les débuts de son existence corporelle ; il n'a été ni conçu sans la divinité, ni mis au monde sans la divinité, ni nourri sans la divinité. C'est bien le même qui se trouvait dans les œuvres miraculeuses, et le même dans les humiliations ; crucifié, mort et enseveli selon l'infirmité de son humanité, ressuscité le troisième jour selon la puissance de sa divinité, il est monté au ciel, s'est assis à la droite de Dieu le Père, et a reçu du Père dans sa nature d'homme ce que lui-même avait donné dans sa nature divine.

7. Méditez d'un cœur pieux ces vérités, bien-aimés, vous souvenant sans cesse du commandement de l'Apôtre qui adresse cet avertissement à tous les hommes : "Prenez garde que personne ne vous abuse par la philosophie et de vaines tromperies, selon une tradition tout humaine et non selon le Christ ; car en lui habite corporellement toute la plénitude de la divinité, et vous vous trouvez en lui associés à sa plénitude". Il n'a pas dit "spirituellement", mais "corporellement", pour que nous comprenions que véritable est la substance de la chair, là où habite corporellement la plénitude de la divinité : de celle-ci, toute l'Eglise aussi est remplie, elle qui, tenant à la tête, est le corps du Christ, lequel vit et règne avec le Père et l'Esprit-Saint, Dieu dans les siècles des siècles. Amen.